lundi 6 avril 2015

Noli me tangere

Les grandes orgues ébranlent une cathédrale comme une marée fouette un littoral. La prière est le savoir impossible d'un sanctuaire. La musique vient d'entrailles telluriques. La basilique étourdie est un chant d'éboulis.
Il est de bonne heure, elle court, elle pleure. Les officiants murmurent un latin, drapés d'une bure bleue de Klein. Marie de Magdala est mue, émue, remuée par ce qu'elle a vu, à deux pas. Rien, le Seigneur, la fondation d'une religion. Dieu de ses yeux. Le christianisme résulte du tombeau vide comme les mathématiques du mystérieux zéro.
Il est de bonne heure. Marie croit ses yeux, vainc sa peur. Elle s'adresse au jardinier. Mais son regard l'égare. Jésus la nomme dans un cri: "Marie !". On ne sait rien au juste de Jésus et de Marie, sauf que Pierre au tombeau est distancé par Jean, l'aimé du Christ.
L'Eglise traîne des pieds, se débarrasse de Marie comme d'une femme de mauvaise vie. Avec dureté d'amour, le Christ coupe court: "Noli me tangere". Jésus est intouchable. Il tangente le ciel et la terre.
Le paradoxe veut que Jésus se donne jusqu'à l'os, se laisse dépouiller d'une vie dont la fragile eucharistie est une sublime effigie. François Cassingena-Trévedy exprime l'intuition d'une foi avec une admirable concision: "Il n'est point ici-bas de proie toute innocente, de proie à l'état pur. Examine-t-on les choses avec tant soit peu de soin, et l'on s'avise bientôt que toute proie est en réalité prédatrice de quelque autre proie plus faible qu'elle... La seule proie véritable, la seule proie absolue est celui qui, infiniment plus bas qu'ici-bas par position naturelle et consentie, a déclaré: "Prenez et mangez: ceci est mon corps" (Etincelles IV, Editions Ad Solem, page 89).

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