lundi 1 février 2021

Rater mieux

Emmanuel est un intellectuel. Il a usé ses guêtres à l’école, il a lu tous les manuels, des auteurs classiques, d’époque ou qui font chic, Houellebecq, mais surtout Beckett. Emmanuel excelle dans l’art d’imiter. Il singe à merveille le vieux Samuel. Dans « Cap au pire » (Editions de Minuit , 1991), l’Irlandais éméché sifflote une vague philosophie comme il sifflerait une fiole de whisky, d’une traite, dédaigne l’avenir, s’opiniâtre à le maudire, lui tourne le dos, compte ses mots : « Essayer. Rater. Essayer encore. Rater mieux ». Oui, cela saute aux yeux : Emmanuel vaccine comme pense le vieux Sam. Dès le début du récit, et tout au long de la saga du virus, sorte de saison 2 du grand débat, il respecte à la lettre l’elliptique prescription du Nobel des ratures. Il copie, recopie comme un moine au chevet du patrimoine. Il échoue, il est content de son coup. Il est satisfait de sa trouvaille, la soumet à ses ouailles, au peuple qui ripaille. Il répand ses haïkus dans les rues : « Dépister. Tester. Dépister encore. Tester mieux. Isoler à qui mieux mieux. » Emmanuel enrichit Beckett, ajoute une touche personnelle. « A qui mieux mieux » témoigne qu’il pige vite, qu’il surclasse même le grand Sam. L’héritier ne fait pas les choses à moitié. Il rate à répétition, à tire-larigot, dans les grandes largeurs, sans jamais que son arme de service ne s’enraie : les masques, les tests, les vaccins, et tout à l’avenant. Et de gauche, et de droite, Emmanuel s’approprie l’échec deux fois, double dose : la droite qui rate et la gauche qui gâche. Il contemple le magot. Il est courbé sur son ouvrage. Il fignole son raté comme un gosse de plage son génial pâté. Essayer, rater, essayer encore, rater, chuter dans les décors. Il se plante en splendeur, croise les skis dans la poudreuse : planté, flexion, extension du virus. Il loupe ses christianias, parachève un mandat. Emmanuel échoue comme un vieux loup de guerre, un académicien réfractaire. Et l’âge pivot dans tout ça ? L’émotion m’étreint. C’était le bon temps. Les années Théodule Delevoye, de revoyures tous les mois, à s’inviter à goûter pour le plaisir de se réunir, au crochet des gilets jaunes. Un temps d’échec sans complexe qui claque sec. Un temps de ratage prometteur, exécuté de main de maître. Souvenir de jeunesse, des premières liesses, des gais loupés. Emmanuel besogne d’arrache-pied, lit la nuit les fiers aphorismes de Giacometti. Les bonjours d’Alberto le ragaillardissent. « Mon seul souci serait de me restreindre le plus possible… Parce que, que cela aboutisse à un échec ou à une réussite, en réalité c’est exactement la même chose. Ou plutôt, il n’y a réussite qu’à la mesure de l’échec. Plus ça échoue, plus ça réussit. » (« Ecrits », Hermann, 1995). Emmanuel exulte. Il a extrait du grimoire d’Alberto de quoi habiller son deuxième mandat pour l’hiver. « J’ai un projet de dingue ! » confie-t-il au JDD. « Rater mieux », c’était bien. Beckett valait comme première fusée. Poubelle, maintenant. Usé jusqu’à la corde, à l’heure du tome 2 de « Révolution ». Désormais l’aventure spatiale exige une orbite présidentielle qui propulse Emmanuel vers un destin éternel. L’enjeu, sacré bonsoir, c’est sa bouille dans l’Histoire. Emmanuel est bouche bée devant les écrits de Giacometti. « Plus ça échoue, plus ça réussit ». La formule du bricoleur de Stampa lui va comme un masque, emblématise le deuxième et triomphal mandat.

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