dimanche 23 mars 2025
Arnaud Beltrame, 24 mars 2018
À vrai dire, on n’a jamais tué de Gaulle qu’un demi-siècle après sa mort. Non seulement nous avons gâché un capital de fulgurances, mais nous avons durablement altéré le destin d’une nation. Voici venu le temps long de l’insignifiant. La communication n’est qu’une comédie, une fantaisie, une variété de l’imagination. A mille lieues du réel. Simone Weil parle de “l’imagination, combleuse de vide”. Avec l’âge, je sais que de Gaulle demeure la figure exemplaire d’une jeunesse.
Au seuil de la vieillesse, je n’ai identifié que le colonel Beltrame dans le sillage du génial général, pareillement inflexible à tout renoncement.
Beltrame a hérité de l’exact patronyme. Manu lui chipe sa belle âme. « Patriote » est un label « bankable », à valoriser dare-dare dans les écoles. L’épithète est époussetée. On la dépoussière de sa ringardise.
Au détriment des vieux gangs de « militants » qui marchent les pieds en dedans.
Le chef des armées cause à la patrie. « Riot » signifie « émeute de rue ». « Patriote » veut dire : « pas de ça chez nous ». Manu, qui n’est pas catalan, parle anglais naturellement. Je le vois sauter sur sa chaise comme un cabri : « Patrie, patrie, patrie ! » J’ai la chair de poule. Macron promet le grand frisson. La séquence à venir multipliera les bouts de langage et les éléments de boniment sur « L’Europe ». L’Europe des patries et l’Europe supranationale. En même temps.
La page est blanche. Elle est riche de tous les virtuels possibles. L’infini ne joint pas les deux bouts. Rien n’est joué. Rien n’est écrit. Rien n’a de sens d’avance.
Il est téméraire de s’aventurer, en première ligne, en premières phrases, sur une terre littéraire, sur un champ de chair. Il est téméraire de briser la ronde coutumière des jachères.
Tracer les premières lettres, se saisir de l’alphabet éparpillé, composer des mots qui fassent écho, dessiner des fragments de signifié, s’affranchir d’un impérieux désir : écrire comme on libère un cri.
Le lieutenant colonel sait quoi faire, décider sans collégialité, dans l’immédiateté. Le lieutenant colonel a des ailes. La terreur ne lui fait pas peur. C’est un chef de ferveur : il est à l’œuvre. La poésie d’Ezra Pound lui indique la direction du pays : « Si légère est l’urgence ».
Le lieutenant colonel se livre à l’ignoble forcené du mal, arrache la caissière des griffes du furieux animal. Acte anti-économique, par excellence. Acte christique.
Le lieutenant colonel est seul, infiniment seul, premier et dernier de cordée. Avant d’expirer, il prie sa patrie. Il écrit avec son sang le chef d’œuvre d’une vie, le récit fondateur de notre temps.
C’est un livre de résistance, le traité d’une grandeur, l’évangile gaullien d’un admirable gendarme. La rébellion du lieutenant colonel n’est rien d’autre que de servir une nation, d’honorer sa mission. Elle a le style des beautés les plus pures, des fulgurants chants d’amour, insoucieux des périls de bravoure.
Certaines phrases du texte sont extraites de « La fin des haricots », 5 Sens Editions, décembre 2022.
https://catalogue.5senseditions.ch/fr/home/518-la-fin-des-haricots.html
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