mercredi 19 mars 2025
Le geste de finition
La peinture de Nicolas de Staël saute aux yeux. Elle agrippe le regard sans plus le lâcher. Nicolas peint comme l’indien scarifie son corps. Le geste est sauvage et la peinture luxueuse. Il ne peint rien d’autre que la couleur, lisse et solaire. Le couteau crisse et la couleur crie. La couleur, livrée par pans, joue avec elle-même. Elle perce jusqu’au cœur de la toile et prend feu. Ou bien la chaleur est froide, comme le vertige d’avant le saut. Nicolas griffe la toile pour se persuader qu’il voit. Ses tableaux sont des empreintes, des marques vives. Ils disent que la couleur est la pulsation du peintre.
A cette hauteur, le couteau du peintre ne croche pas tout à coup. Staël peint l’assaut du monde. A cet instant de vie, l’oubli d’elle-même, royale vertu des simples, exige ce surcroît de force, d’attention précise.
Staël recommence, esquive la toile, jette l’épée en plein ciel, réinvente la peinture. Il a peur. Il a peur comme la splendeur seule sait faire. Il veut sortir, sans coup férir. Il veut sortir par la grande porte. D’instinct, l’homme a suivi les couleurs, monté l’escalier, vu l’amour sur les murs, sur le champ payé leur sourire. Il gîte là-haut depuis, la chambre à cent francs, l’atelier sous les toits. Venu du Nord, des fastes slaves, lentement il passera à peindre les années d’octroi, l’inégal sac de secondes distribuées aux hommes de jeu. Staël situe sa mise sur l’arc en ciel, exécute avec ferveur des sortes d’images peintes.
Rimbaud prisait les peintures idiotes. A niveau d’oiseau, dans le vieil Antibes, Staël prie la nuit, le jour de revenir. Comme l’Ethiopien, trafiquant de voyelles, il voit l’ironie, il dérobe au ciel ses vertiges. D’un bleu panique, il fixe le cri. Derrière lui, la vie passée quoique imparfaite fait effort de mémoire, témoigne des rigoureux insuccès des formes vives, journées d’hiver sans défaillance. Tout haut, Staël rêve croisades, sans chevalet, chevaleresque.
C’est une peinture d’exil, que rien n’apaise, pas même les cils du soleil. Des pierres, il déterre la lumière, la secrète rougissure intérieure, calée dans l’axe exact du luxe. A l’humble gravat, il donne couleur et visage, pommette écarlate, éclat de pierreries. Mêmement, Staël et style, quasi sosies, élancent une proie mince à couteaux blancs sur le drap.
Avec les regards, il ne compose pas, ni ne thésaurise ses trouvailles. Il dévore l’immédiat, ne gardant rien, comme le meilleur pour la fin et la faire jolie. Il avance peignant dans un jour sans couleurs.
Appelez cela une mort choisie, toutes le sont, tôt pressenties, rôdant près des hommes, dans les parages du visage. On va voir ce qu’on va voir. Fildefériste et coloriste, Staël regarde le déclin, la base froncée d’un visage, la reddition au noir du dernier paysage. Staël s’installe aux première loges, parmi les artistes rugueux, dont l’œuvre si patiemment tissée évoque la sauvage indifférence du monde : un pan de ciel, un fragment de terre, une parcelle d’océan. A la cime d’un savoir, et malgré les apparences, il est bien mort sur l’arbre. Il a tiré l’échelle à la barbe des copieurs. Pas de malin plaisir, ni l’affreux rire de l’outre-tombe, seulement le geste de finition.
Ce texte est extrait de « Le type d’Antibes », 5 Sens Editions, juin 2024
https://catalogue.5senseditions.ch/fr/home/560-le-type-d-antibes.html
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