jeudi 12 décembre 2024

Mandiargues in memoriam

« Au croisement des meilleures manières de dire, au hasard des lectures françaises et des feux de braise, se percutent tête à tête la prose de Jacques Chardonne et la phrase d’André Pieyre de Mandiargues. C’est un voisinage d’exception, une sorte de discrète communion, le précieux coudoiement de merveilleux artisans. Je les identifie comme une compagnie de fin de vie. Je les reconnais aux grains de beauté jetés d’instinct sur la page écornée. Rien de commun entre les deux écrivains. Bien sûr. Sauf la littérature. La littérature est un territoire noir, une contrée sauvage. N’y séjournent que des forcenés de la phrase, des fous furieux de la féerie textuelle, des bêtes féroces qui dépècent les songes, déchirent la viande des mots. André Pieyre de Mandiargues est un artiste rare, un écrivain de fier lignage. Son centenaire officiel oblige à considérer l’éclat chatoyant d’une œuvre fulgurante. Gracq l’admirait au point d’envier l’excellence de ses récits courts, sa maîtrise des textes majestueux. Mandiargues n’écrit pas vite : il tâche d’écrire faste. Mandiargues ne se donne pas à lire sans d’emblée se raidir. On entre un jour par la bonne porte. J’ai lu « La Marge » à Barcelone. J’y découvrais la nuit, ses ruelles odorantes, au rythme de l’errance narrative, à la cadence enivrante d’un cheminement fatal. C’est un roman sublime, exquis, raffiné d’un grand poète, primé en 1967 par l’académie des Goncourt. Ce trésor n’est pas plus épais qu’une boîte de cartouches. J’envie, d’une jalousie féroce, le lecteur qui découvrira ces pages magnétiques, déambulant au hasard dans les travées entortillées de Barcelone. L’écriture de Mandiargues joue avec la lumière, les couleurs, les humeurs et les sons. L’artiste fait luire sa griffe au soleil. La joie méditerranéenne jaillit des sortilèges de l’écrivain huguenot, irradie les pages de Rodogune, somptueuse nouvelle, plante un couteau dans la cruauté du bonheur. Se lit à haute voix. Amour fou. On n’en sort pas indemne. Sur ma paume, la lumière de Sardaigne saigne. Nous sommes loin du crincrin des machines à compter. À mille lieues de la stridence incivile des sirènes. J’étais fait pour elle, Rodogune, comme l’oiseau d’un seul ciel. Le « aigne » de Sardaigne, méchant comme une teigne, me rentre dans la peau, lentement, comme une morsure de soleil. Rodogune est la jeune inconnue à la courbure de hyène. Je lis les mots du peintre, souffle sur les grains de sable du phénoménal Staël : « Il avait vu quelque chose comme le bonheur. » L’invincibilité du ciel, son évidence absolue, me cloue sur le banc d’un quai de gare. Rien à faire. J’écris avec le bout des griffes. Je songe aux citronniers de Pula, à Pierrot le Fou, au dancing de la marquise. Je revois la maison de joie de Sinistria. Nous enfourchions le dos tiède d’une vague affectueuse. Je relis, je revois son chignon noir dans l’ovale d’un fichu de paysanne. Elle repose sur ma joue, le derrière en bataille. Dans la continuité ou par contiguïté, il faut lire le merveilleux « Lis de Mer ». S’abandonner au charme vénéneux de Tout disparaîtra, l’ultime récit d’un quotidien où le métropolitain n’a jamais été aussi bien dépeint. Au petit bonheur, au vent du caprice, il convient d’égrener les cinq tomes de Belvédère, qui sont des recueils de prière, des textes de ferveur, des communiqués lapidaires en forme de dernier salut sur la terre. Reste à aimer « La Motocyclette », récit inspiré d’une Bardot chanteuse chevauchant une Harley-Davidson, et tant de merveilles littéraires délicieusement érotiques. Dans « Matinales », Jacques Chardonne vend la mèche : « On veut une neige fraîche où personne n’a encore marché. » L’écrivain charentais, partenaire épistolaire de Paul Morand, s’interrogeait le 11 décembre 1962 sur l’avenir de la littérature : « Je dirais, Mandiargues ». Oui : Mandiargues s’avance solitaire dans le siècle. C’est un splendide centenaire, un styliste admirable, qui frappe discrètement à la porte des plus grands prosateurs de langue française. « Vanina ». À Jean Paulhan, novembre 1956 : « Magnifique roman de Mandiargues. Je le crie partout. » Chardonne change de ton, sort de ses gonds. L’art de Mandiargues provoque une sauvage exaltation, compose une sorte de psaume noir, d’allure incantatoire. Chardonne taille le silence, cisèle un cristal musical. Mandiargues est un luxueux coloriste, un adorateur de dorures, un collectionneur de terreurs. Son genre de beauté fait peur, ride les eaux lisses d’un éphémère bonheur. Chardonne découvre la peinture en littérature. Vanina est le titre originaire du légendaire « Lis de Mer ». La suffocante beauté de Santa Maria di Siniscola se jette sur la phrase comme un fauve qui dépèce, une bête prédatrice dont la trace de canines invente un secret alphabet. L’assuétude à l’habitude est une forme d’hébétude. Je m’adonne à Chardonne en exergue de Mandiargues. Ils ont vingt-cinq ans d’écart. Avec Proust et Flaubert, je double la mise. Gustave précède Marcel d’un bon demi-siècle. Ces deux tandems figurent un carré d’estime. À aucun, je ne refuse rien. J’abdique tout esprit critique. Je vis à leur crochet. Je me vautre dans une relecture en boucle. Je parasite un sang d’artiste. À cette heure et sans pardon, je n’admets pas de cinquième larron. Je fais poireauter les autres dans le vestibule. Rousseau, Chateaubriand, Céline et Gracq sont priés de patienter un petit moment. Je les relirai, ou pas. » https://catalogue.5senseditions.ch/fr/poesiereflexiontheatre/192-l-amitie-de-mes-genoux.html

mercredi 11 décembre 2024

Jean-Louis Trintignant aurait quatre-vingt-quatorze ans

AA, BB, FF : C’est le début d’un alphabet dédoublé, les initiales bégayées de ses films. Anouk Aimée, Brigitte Bardot, Françoise Fabian. A comme Amour, B comme Beauté, F comme Folie. Trintignant est un joli gosse d’Uzès. La lettre T de timidité, il la trace sur une figure de jeune premier, un visage rentré, une moue renfrognée. L’alphabet de l’acteur se poursuit, mais sans lettre miroir qui répète une silhouette, un regard : Romy Schneider, Dominique Sanda, Fanny Ardant, Emmanuelle Riva, Irène Jacob. Derrière une actrice, il cache une cicatrice. Les actrices de son pays ne seront jamais aussi belles qu’en sa compagnie. Toutes les comédiennes qu’il tient par la taille, qu’il serre dans ses bras expriment au cinéma une sorte de volupté particulière, une manière de se plaire, d’être heureuse. Bardot confesse sa tendresse pour le petit amant du port de Saint-Tropez. Mieux qu’une boudeuse aventure, c’est une passion, une préférence. Trintignant n’est pas Gary Cooper, ni même Delon. Il est joli, fait virevolter les robes Vichy. Sa réserve frise l’orgueil. Il lasse à trop d’audace quand il s’écoute parler. À vrai dire, c’est peut-être la qualité de sa diction, un doux chuchotement des lèvres qui donne à son jeu quelque chose de sentencieux. Trintignant ne réalise qu’un film, un autoportrait raté, la diabolique histoire d’un collectionneur de meurtres, la routine criminelle d’un type ordinaire. Jacques Dufilho est lunaire, sardonique, drolatique, poétique. Quand il se regarde faire l’acteur, Trintignant voit Dufilho dans le viseur. L’homme est démangé par la folie. La timidité ne se décalque pas sur la naïveté. L’innocence lui fait défaut. Aucun écho d’Idiot, rien de dostoïevskien. L’acteur est calculateur. Je le croise sur les Grands Boulevards. Je l’observe avec insistance. Il me fusille des yeux. Méchant comme une teigne. L’homme est démangé par la mort de Marie. De la génération d’après, en beaucoup plus musculaire, je ne vois que Pascal Greggory pour afficher de mêmes visages groggy, tuméfiés, abîmés, cabossés par la violence des coups, des uppercuts d’une intérieure retenue. « Je voudrais pas crever avant d’avoir connu les chiens noirs du Mexique qui dorment sans rêver… » Trintignant récite le poème de Vian. C’est une somptueuse, magistrale, majestueuse lecture, une affectueuse reconnaissance de la littérature. Les mots. Ma nuit chez Maud. Françoise Fabian est un envoûtement, une ferveur dans un ciel d’hiver, l’ennui traînant de Clermont-Ferrand. Elle s’apparente à une impossible, inexorable attente. FF est une beauté de feu, la déesse inégalée du noir et blanc finissant, retardée. Vitez est un seigneurial causeur de Pascal, métallique, ironique. Trintignant joue de son charme comme d’une gourmandise, d’une hésitation narquoise. Tous trois virtuoses d’un métier de pure extase. Quand j’avais six ans, je lisais L’Équipe, j’imaginais les exploits de Maurice Trintignant. « Pétoulet », son sobriquet, était un as de la vitesse, un fêlé des circuits. Il tutoya Jim Clark et Graham Hill. Jean-Louis Trintignant appartient à une même ligne de risque. Il n’est pas l’homme du Dernier Métro. Il est l’acteur du dernier Truffaut.

dimanche 8 décembre 2024

Madame Notre-Dame

J’ai voulu désensabler une mémoire égarée. Ressentir, sentir à nouveau, le souffle d’une verticalité, l’écho du grand vent, le saisissement d’un élan du sang, d’un sentiment d’océan. Je me remémore un vertige, un flottement du corps, le franchissement d’une porte, une sorte de commotion, de secousse vive, qui soulève, hisse une chair vers une terreur. Ce ciel brutal est une croisée d’ogives, une voûte qui va vite, ses trois arcs qui font loi. La splendeur est taillée dans la peur. La foi nécessite l’introït, un psaume de lapidaire humilité, une joie d’exacte majesté, un pur silence d’autorité. Dieu n’a pas de maison. Le mystique n’a pas de vie domestique. Le Christ répugne au gîte. Quand il dort, c’est dehors. Jésus est un nom à coucher dans la rue. Il n’a pas besoin d’un toit puisque sa main touche les étoiles. Jésus n’a pas de vie d’intérieur. La baraque est une idée un peu foutraque. Elle embastille les filles. C’est une résidence d’assignation féminine. La cathédrale de Paris est la maison de Marie. Les hommes ont sculpté la pierre dans la foi et l’effroi. Pareille obéissance définit un labeur d’exception, compose bien autre chose qu’un maigre travail de petite vie morose. Le saint artisanat, le seul travail qui vaille, est fait de crainte, de contrainte et d’astreinte. Il n’y a pas à tortiller, un seul métier vise une authentique félicité : orfèvre. Tous les autres sont des courbures d’imposteur. Notre-Dame est la demeure d’une femme, le logis de la Vierge Marie. La cathédrale évoque une forme spectrale. Elle est une toile d’autoportrait. Marie éblouit dans une pierre blanchie. Sa maison clignote comme une permanente apparition. C’est pourquoi Notre-Dame exerce un pouvoir d’hypnose, crée tous les jours l’événement de sa présence miraculeuse, répète un rituel obsessionnel de regards vers le ciel. Ces jours-ci, je vois l’épiphanie de Notre-Dame, à l’image de « Jeanne Dielman », le film de Chantal Akerman, ou de « Fantasma d’amore », celui de Dino Risi. Delphine Seyrig ensorcèle par la saccade de ses apparitions, la scansion des sons et gestes qui rythme une infernale monotonie. Romy Schneider émeut jusqu’à la vérité, troue la réalité, par l’obscénité de sa figure altérée. Les visages d’Anna Brigatti, Jeanne Dielman et Marie de Nazareth rayonnent d’un même sourire captif, de brève et longue humanité. Dans la maison de Marie, je suis happé par l’appel des vingt-neuf chapelles. Les prélats ont revêtu le drap Castelbajac et ses bigarrures de haute couture. J’aime la sensation noyée des travellings avant de la nef. Au lieu d’éprouver la verticalité, on n’entend que des mots qui viennent, non d’en haut mais d’une ligne d’horizon. On assiste au cocktail des célébrités qui échangent papouilles, bécots et bourrades dans le dos. A ce jeu de gestes et de gaucheries convenues, Carla Bruni et le prince William sauvent l’honneur des anciennes belles manières. Le baiser des doigts d’extérieur révèle un goût malsain, une dilection obligatoire de bourgeois républicains. Les applaudissements sous la voûte réveillent des souvenirs de stade, de concert, voire de rave party. Emmanuel Macron a pris le micro pour lire un mot, tout haut, sans trop d’ego, pas perso pour un sou. Une sorte de discours d’après match de Didier Deschamps : « On a joué collectif ». Les braves étaient en rouge, habillés de la ferveur des héros. Les enfants chantaient en bleu. Les ouvriers étaient venus la semaine d’avant célébrer leur prouesse. Ils ont chauffé la nef pour les usurpateurs du jour. A vrai dire, tout s’est passé comme s’il y avait la table des grands et, à côté, dans l’obscurité, la table des petits. On voyait ça jadis dans les mariages, les enterrements, les communions, les baptêmes, les fêtes de Noël. Ce calendrier, à deux dates inutiles, première et deuxième classe, pour glorifier la restauration de Notre-Dame, rappelle au peuple que la place des gueux reste à la cuisine et que celle des maîtres demeure au salon.

vendredi 6 décembre 2024

L’Etat d’avancement

Le stagiaire du palais a bousculé la tradition du job d’été. Il a remué ciel et terre pour que le petit boulot des escaliers de l’Elysée soit renouvelé par tacite reconduction jusqu’à épuisement du peuple souverain. Il travaille comme un fou, dissout, chamboule le calendrier, donne un coup de boule aux députés. Il présente ses vœux d’avance, trois semaines avant la saint Sylvestre. C’est un élève qui a trois classes d’avance. Notre-Dame est son Puy du Fou, figure le grand récit de la radieuse Macronie du bouquet final. Les vieux chênes fixent le cap du capitaine. D’un mégot d’ouvrier, comme le veut la légende dorée, l’enquête qui s’entête sur une cigarette, la cathédrale flamba dans le ciel de la capitale et révéla d’un coup au petit gars du Touquet la vastitude d’un sublime projet. Révolution. Repartir de zéro. Déconstruire pour mieux rebâtir. L’homme du scooter des mers a rafistolé la basilique à toute berzingue. Cinq ans, fastoche, les doigts dans le nez. Le défi d’adieu du monarque d’arc républicain est de rallumer la flamme – il s’est entraîné sur la tombe du soldat inconnu -, de jeter une Marlboro de chantier, un deuxième mégot sur le bel ouvrage d’artisanat. Refaire à nouveau Notre-Dame, mais en deux ans cette fois, top chrono. Le président s’identifie à Léon Marchand dans son bassin. Emmanuel vise la consécration des futurs manuels, sa poignée de pages publicitaires dans les bouquins d’histoire. Choc de productivité, choc de simplification, choc de clarification, choc d’espérance, conjurent l’échec et la multiplication des chèques. Plus vite, plus fort, plus haut. La devise olympique est une morale de travail qui lui sied à merveille, un aristocratisme de l’excellence, l’exemplarité jupitérienne au service des fragilités prolétariennes. Macron soulève un peuple au-dessus de ses neurones, le hisse au sommet à la force de ses petits poignets. Il l’éduque au brio, à la virtuosité, à la vertu de la grandeur. Le géant de légende avance, loin devant, marche vers un bilan triomphal, progresse vers son bouquet final, chemine vers un dernier concert anniversaire. Quatre grandes dates jalonnent l’histoire de l’homme des 3 300 milliards de dettes : le moment originel, l’instant Benalla et du coffre introuvable ; le tonitruant grand débat, texte de théâtre, demeuré lettre morte, mais d’aussi longue destinée que « Le Soulier de Satin » ; les Jeux pour amuser les gueux, qu’on devrait organiser plus souvent, faute de pain à distribuer ; Notre-Dame, Emmanuel comme Claudel caché derrière un pilier, attelé à la revisiter indéfiniment dans une ambiance de kermesse, une atmosphère de liesse avec Donald. Giscard, qui prétendait « descendre » non du singe mais de Louis XV, s’était usé à vouloir imposer un « libéralisme avancé ». Notre chef actuel nous exhorte à avancer. A ses débuts, il nous encourageait à marcher, à y aller franchement avec ses godillots. D’ailleurs, ses propres initiales confirmaient le bon fonctionnement d’un vrai bidule, pas d’un gadget de comité Théodule: « En Marche ». Or, jusqu’à présent l’avancement correspond à l’état dégradé d’un fruit avancé. Il faudrait l’ôter du compotier, sans quoi il contaminera toutes les bonnes poires voisines. Le pèlerin confesse que sa décision était « réfléchie et mûrie ». Trop, sans doute. Jusqu’à la pourriture, comme d’une mauvaise rature. Il faut stopper l’éclaireur, le marcheur d’avant-garde. Avancer le calendrier.

mardi 3 décembre 2024

Motion de censure

C’est écrit dans mon patronyme. Il me destine à la rature, au bref repentir de guillotine. Dans la maison du peuple, j’entends mon nom et ses aléas d’alinéa. Les sheriffs d’hémicycle dégainent l’article qui braque le débat, qui provoque le mot pour dire veto. Motion de flétrissure, qui fane un budget, qui fripe un projet. Motion de censure. La biffure parlementaire est un coup de gomme sur un texte délétère, le couperet qui tranche un corps de phrase. L’auteur taillade son ouvrage à longueur de labeur, en élague les langueurs. Sur la page blême, il ne cesse de pratiquer un blâme de lui-même. L’auteur proscrit plus qu’il n’écrit. Il signe à chaque clic une nouvelle motion de mort, une nouvelle censure de ses tics d’écriture. Il se renverse à tout moment, comme un gouvernement, de ses propres crocs en jambe.

lundi 2 décembre 2024

Pas fait maison

J’ai l’impression qu’on se fourvoie avec une métaphore de bâtisseur, répétitive à l’envi. Je ne suis ni à « déconstruire », ni à « reconstruire ». Je ne suis pas fait maison. Je suis de chair et non de pierre. Si j’ai un chagrin, très gros, quasi mortel, je n’ai pas besoin d’une truelle pour sécher un œil, ni de pelletées pour masquer une plaie. Je ne suis pas fait maison. Un homme vaut mille, mille et mille Notre-Dame. Un pauvre diable dans la rue, une infinité de cathédrales. Nul architecte, aucun amoureux des belles pierres ne sait le secret d’une chair.

dimanche 1 décembre 2024

Le confetti d'appartenance

La vie d’aujourd’hui se résume à ses clics. On accomplit des tours de périph au ralenti, ceinture bouclée, à zapper des trognes de télé. On a appris à lire. Mal. On a appris à compter. Mal. Pour en arriver là, à presser un bidule qui exhibe la bouille enfarinée d’un comité Théodule au complet. Comme on joue sur terrain plat, on désigne le nivelé de télé par le mot « plateau ». Ces temps-ci, je suis surpris qu’on y convie n’importe qui. Hier ou avant-hier, deux pensionnaires normalement à rond de serviette, je veux dire à rond de rosette, ne portaient pas la tache de rouge, le confetti d’appartenance au revers de la veste. Or le diable, comme les révolutions, se cache dans les broutilles. Heureusement, la guerre en Europe nous impose le crachoir de généraux au rancart pour instruire les ignares. Ces quarterons de médaillés demeurent conformes aux prescriptions de jadis : cravate de couleur, Légion d’honneur, mouchoir ostentatoire. A se demander d’ailleurs s’il n’y a pas un concours interne à l’institution, une rivalité entre ces hauts gradés pour rafler la mise de la pochette mousseuse la plus voyante, le petit bout d’étendard le plus criard.