dimanche 8 décembre 2024
Madame Notre-Dame
J’ai voulu désensabler une mémoire égarée. Ressentir, sentir à nouveau, le souffle d’une verticalité, l’écho du grand vent, le saisissement d’un élan du sang, d’un sentiment d’océan. Je me remémore un vertige, un flottement du corps, le franchissement d’une porte, une sorte de commotion, de secousse vive, qui soulève, hisse une chair vers une terreur. Ce ciel brutal est une croisée d’ogives, une voûte qui va vite, ses trois arcs qui font loi. La splendeur est taillée dans la peur. La foi nécessite l’introït, un psaume de lapidaire humilité, une joie d’exacte majesté, un pur silence d’autorité.
Dieu n’a pas de maison. Le mystique n’a pas de vie domestique. Le Christ répugne au gîte. Quand il dort, c’est dehors. Jésus est un nom à coucher dans la rue. Il n’a pas besoin d’un toit puisque sa main touche les étoiles. Jésus n’a pas de vie d’intérieur.
La baraque est une idée un peu foutraque. Elle embastille les filles. C’est une résidence d’assignation féminine. La cathédrale de Paris est la maison de Marie.
Les hommes ont sculpté la pierre dans la foi et l’effroi. Pareille obéissance définit un labeur d’exception, compose bien autre chose qu’un maigre travail de petite vie morose. Le saint artisanat, le seul travail qui vaille, est fait de crainte, de contrainte et d’astreinte. Il n’y a pas à tortiller, un seul métier vise une authentique félicité : orfèvre. Tous les autres sont des courbures d’imposteur.
Notre-Dame est la demeure d’une femme, le logis de la Vierge Marie. La cathédrale évoque une forme spectrale. Elle est une toile d’autoportrait. Marie éblouit dans une pierre blanchie. Sa maison clignote comme une permanente apparition. C’est pourquoi Notre-Dame exerce un pouvoir d’hypnose, crée tous les jours l’événement de sa présence miraculeuse, répète un rituel obsessionnel de regards vers le ciel.
Ces jours-ci, je vois l’épiphanie de Notre-Dame, à l’image de « Jeanne Dielman », le film de Chantal Akerman, ou de « Fantasma d’amore », celui de Dino Risi. Delphine Seyrig ensorcèle par la saccade de ses apparitions, la scansion des sons et gestes qui rythme une infernale monotonie. Romy Schneider émeut jusqu’à la vérité, troue la réalité, par l’obscénité de sa figure altérée. Les visages d’Anna Brigatti, Jeanne Dielman et Marie de Nazareth rayonnent d’un même sourire captif, de brève et longue humanité.
Dans la maison de Marie, je suis happé par l’appel des vingt-neuf chapelles. Les prélats ont revêtu le drap Castelbajac et ses bigarrures de haute couture. J’aime la sensation noyée des travellings avant de la nef. Au lieu d’éprouver la verticalité, on n’entend que des mots qui viennent, non d’en haut mais d’une ligne d’horizon.
On assiste au cocktail des célébrités qui échangent papouilles, bécots et bourrades dans le dos. A ce jeu de gestes et de gaucheries convenues, Carla Bruni et le prince William sauvent l’honneur des anciennes belles manières. Le baiser des doigts d’extérieur révèle un goût malsain, une dilection obligatoire de bourgeois républicains. Les applaudissements sous la voûte réveillent des souvenirs de stade, de concert, voire de rave party.
Emmanuel Macron a pris le micro pour lire un mot, tout haut, sans trop d’ego, pas perso pour un sou. Une sorte de discours d’après match de Didier Deschamps : « On a joué collectif ».
Les braves étaient en rouge, habillés de la ferveur des héros. Les enfants chantaient en bleu. Les ouvriers étaient venus la semaine d’avant célébrer leur prouesse. Ils ont chauffé la nef pour les usurpateurs du jour. A vrai dire, tout s’est passé comme s’il y avait la table des grands et, à côté, dans l’obscurité, la table des petits. On voyait ça jadis dans les mariages, les enterrements, les communions, les baptêmes, les fêtes de Noël.
Ce calendrier, à deux dates inutiles, première et deuxième classe, pour glorifier la restauration de Notre-Dame, rappelle au peuple que la place des gueux reste à la cuisine et que celle des maîtres demeure au salon.
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