lundi 10 mars 2014

Le peuple et la foule

Le peuple est haché menu dans l'isoloir du suffrage universel. C'est une abstraction démembrée, un concept désagrégé dont les miettes s'avancent à l'unité devant l'urne sacrée. Le peuple est fédéré dans l'imaginaire. La démocratie a besoin de fantasmagorie.
La cérémonie du vote s'adresse à l'expression solitaire. La démocratie est une arithmétique des solitudes.
La foule est la face visible du peuple. D'un peuple échantillonné au petit bonheur. C'est une communauté de rue, une assemblée mimétique qui n'obéit pas à la psychologie d'individu.
Le peuple du dimanche qui s'égrène dans l'isoloir dispose d'un for intérieur, d'un libre arbitre, d'un secret. C'est un peuple de raison muette. Sans autre transparence que des colonnes de préférences.
La foule de centre-ville est un groupe d'émotion, un attroupement de sentiment. Elle bruit de mille sensations. C'est un peuple de raison nulle. Sans autre opacité que ses émois de masse.
La démocratie privilégie le peuple d'isoloir au détriment des foules de chair et de colère. Car elle craint les brusqueries du réel comme les dérèglements d'un ciel.
Le peuple d'isoloir prononce un oracle, à intervalles réguliers. Il exprime une vérité saisonnière, le choix provisoire d'un corps d'électeurs. Hors le temps de la consultation, dans cette zone de non-droit d'isoloir où s'étiole une légitimité, la vérité du peuple vient de son opinion.
La science enquête. Elle charcute les convictions intimes. Les sondages balisent le paysage. Ils comblent le manque de réel, sature de chiffres le vide démocratique.
La foule supplée l'attente. Elle s'impatiente des délais d'échéance. Les bonnets rouges ruent dans les brancards. Les émeutiers de Kiev votent à main levée. La mauvaise foule asticote le bon peuple.


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