jeudi 8 octobre 2020

Moins aimée désormais

Dans ce mauvais bistrot si charmant, je déplie Le Matin, le défunt journal d’une bonne gauche consciencieuse. Chez Léna et Mimile, je suis mal assis, courbé sur la chronique de Bernard Frank. Je lis doucement, calmement, posément. Je lis pourtant trop vite. Je n’ai plus de texte à me mettre sous la dent. Frank est fini. Lu, relu, et toujours cette même saveur de chewing-gum dont parle Gracq dans ses Lettrines. Quoi lire après ? Les autres pages d’encre noire sont assommantes. Bernard Frank fait luire sa griffe au soleil. Sa plume voltige. L’écrivain paresse à l’ombre des grandes figures de la littérature. Il a gardé de l’époque 1900 la gaieté de la phrase, cette vie, ce naturel qui me charme dans les lettres de mes arrière grands mères, peu instruites et tellement civilisées. La frivolité de Frank s’apparente à une délicate courtoisie, à une plaisante bougonnerie. Les journaux ne se vendent plus. Et Bernard Frank n’enchante plus leurs colonnes. La presse gratuite, au fond, c’était Frank. Car lui seul était possédé par la grâce. On a beau chercher: la langue française sera désormais moins aimée.

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