dimanche 11 octobre 2020

Une manière d'être seul

Une manière d’être seul Un cache-col jaune violemment acide colore l’automne d’un pardessus de commissaire. Il pend sur un poitrail comme une cravate qui épate. Une serviette de cuir rougi est frangée de lanières usées, closes à moitié, comme des paupières lassées. Le jaune est un rouge comme les autres, de même urgence, d’aussi véhément désir. Je ne sais dire où je veux en venir. Je vais au diable. Quand il fait noir, je perds le nord. Je vais nulle part. J’arpente l’allée du bout des pieds. Je suis les bruits du soir. Je me lance dans le sens du silence. Je vais mal car je vois mal. Je vais au diable, faute d’accès au ciel. Je ne vais pas bien, ni mieux. J’y vais quand même sans savoir où la nuit me mène. Je me sauve comme une bête brève. Je suis les pointillés du récit, dispersés comme des confettis. Je revendique une peur comme une seconde nature. J’ôte une voyelle au bleu du ciel. Je me presse comme on se défait d’une paresse. Je fesse du regard les choses, frappe de face une détresse. Je croise les doigts, je crois. Je brutalise les vocalises. Je wikipédise les affaires courantes. J’étais déjà seul. Assis sur l’infini. Nous tricotions la solitude à nos heures perdues. La littérature m’avait aidé jusque-là, sorti d’embarras, de mille déconfitures. J’imaginais bien qu’elle ne me serait d’aucun secours pour mourir. J’observais les heures du coin de l’œil, dans la diagonale d’une peur. J’étais quitte des nuits d’esbroufe. Je n’aimais que la candeur d’aurore, le saut brutal du drap, la sensation d’absolu débarras. Peut-être l’illusion d’un faux bond. Par la beauté d’à côté, je colmatais mes tracas de crâne. Je veillais à ne pas effaroucher l’écarlate splendeur des oiseaux matinaux. Je griffonnais des bouts d’alphabet. Je dessinais ma pensée en lettres déniaisées. Je fermais ma cambuse comme une parenthèse. Je fusillais le monde d’une balle au front. J’ai soigné la forme de crachat. J’ai fabriqué mon venin sous la dictée d’un serment d’enfant. J'adore La Colle, la Place du Général. J'aime sa mairie pastel, trouée de petits yeux, cernée de volets bleus. A l'heure de boire un coup, le soleil chauffe le genou à La Colle sur Loup. Les filles sont tagguées comme des couloirs de métro. Aucun été n'a jamais calmé le goût d'épopée des grands fêlés. Je dégringole la rue Clémenceau. Le chemin du Tigre s'arrête au lit du Loup. Les Collois n'ont d'autre roi qu'un grand gars renégat. A droite, sur le mur de guingois, on lit l'Appel hors la loi. Le coup de gueule côtoie l'affiche de jazz. Mes yeux pétillent de rien. Je me sens bien en pays gaullien. Il est un âge où le souvenir n'imprime plus. Il tourne les pages, agite un éventail. Je voyage dans des paysages sans mémoire, dans une géographie d'amnésie. Les arbres miment une mort debout. C'est écrit dans la pierre du village, la parole du petit colonel, le cri pêle-mêle de l'Appel. L'idiot du micro exhorte les nationaux au sursaut. "Où qu'ils se trouvent". Il fustige le naufrage des sages: « Des gouvernants de rencontre ont capitulé ». La maldonne est cause de malencontre. Je goûte l’altière manière de dire. Je ressasse l’expression en silence. Je rabats les volets du cahier rouge de Grasset. C’est décidé. Je fauche à Chardonne sa glorieuse définition du pouvoir : « Une sorte de jet d’eau au centre de la capitale ». Un bout de phrase s’est détaché comme un bloc de géologie. Alors j’ai su ce que signifiait, ce que révélait à vrai dire un style, une manière d’être seul.

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