samedi 16 janvier 2021

Bruno Lemaire et Félix Leclerc

Tout ce qui est immobilisé, entravé, empêché d’exercer un métier, bref tout ce qui ne bouge presque plus, à moitié cadavérique, on le nationalise. Mais pas que(ux). L’Etat guette au Carrefour. Les rayons de victuailles et les caddies d’enfants braillards n’appartiennent qu’au peuple souverain. Le pays de Félix Leclerc est éconduit par Bruno Lemaire. Nous demeurons maîtres et possesseurs de nos marchands de jambon comme de nos chansons. Le veto de notre bon Bruno exprime un renouveau aux beaux échos illibéraux. Tout champion national, de quelque activité que ce soit, qui emploie massivement, par dizaine de milliers de salariés, est désormais sanctuarisé. Pas touche. Egaré dans son passé mondialisé, l’investisseur étranger est reconduit à la frontière, au seul contrôle de son faciès d’extraterrestre, d’une mine illégitime de lointain cousin extra-européen. Qu’il garde sa cabane au Canada ! A dix-huit mois de la réélection de Jupiter, Couche-Tard fleure le traquenard. La quarantaine du libre-échange affecte les biens patrimoniaux du CAC 40. Le reconfinement de Carrefour est dicté par la menace d’une mauvaise rencontre, la crainte de fréquentations toxiques. Dès lors, on se recroqueville dans une géographie hexagonale, on se pelotonne at home, on substitue à la concurrence le « Fait en France ». D’ailleurs, dans le domaine sanitaire, on montre l’exemple, on ne traîne pas : les comparaisons internationales ont été supprimées des écrans de télévision, les chiffres locaux suffisent à persuader de la furia vaccinatoire. Mais l’épisode Carrefour traduit un retour aux sources, ressuscite un passé de gauche frondeuse, illustre un moment Montebourg, l’argentier de Bercy d’avant Macron. Notre prince marcheur, Fregoli de l’économie, est saisi ces jours-ci par la débauche nationaliste. Mais la stratégie protectionniste pré-électorale déraille. Car à vouloir barricader ses nobles victuailles et ses épiceries de terroir, le pays s’expose à de mimétiques représailles. Derrière Couche-Tard, il y a des invariants anthropologiques, il y a René Girard.

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