mardi 19 janvier 2021

Un acteur, un grand

On ne regarde pas un film. On ne regarde qu’un homme ou une femme. Du coin de l’œil, on n’observe qu’un acteur. On ne perd pas une miette de sa silhouette. On guette une bête, le visage d’un animal de cinéma, les gestes d’un monstre sacré. L’acteur est une histoire dans l’histoire. Mais sans la lourdeur d’un sens, d’une direction unique, d’un générique de fin. Le jeu d’acteur est une musique pour les yeux. Les comédies de Bacri sont des flagrants délits d’acteur. Le malfaiteur y est intercepté dans sa poésie. Bacri joue la colère comme il respire, s’y abandonne par fatigue, peut-être par mépris. Dans le répertoire, il s’approprie l’humeur massacrante, à laquelle il ajoute une lassitude d’attitude, une fragilité, une fatalité orientale. Une humanité. Le désenchantement est son jardin secret. Bacri bégaie sa colère à la perfection dans une diction d’exception. L’imperceptible marmonnement qui débute le coup de gueule est une signature d’artiste. De loin, avant que la caméra ne zoome sur l’escogriffe un peu dégingandé, on se figure Marcel Bozzuffi, comédien de la génération d’avant. Un vague air de ressemblance. Car Jean-Pierre Bacri exprime une singularité sauvage, une fantaisie désabusée, une noirceur pudique qui n’appartiennent qu’à lui. Quand la couleur éclaire son visage, c’est l’émail des dents qui doucement se découvre, dévoile un sourire lent, long, installe une plénitude qui n’est pas négociable. C’est le sourire d’un homme qui fume une dernière cigarette. Dans tous les métiers, il y a des bons et des mauvais ouvriers. En quantité. Mais les grands acteurs, les vrais comédiens, on les compte sur les doigts de la main.

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