samedi 17 avril 2021

Finir au Havre

Edouard n’est pas bavard. Il réserve ses épanchements littéraires au bidule numérique. Il pianote des deux pouces. Je le sens véhément, impatient d’achever son boniment. L’échoppe où il parade, boulevard Raspail, entrepose son bouquin rédigé à quatre mains. Edouard cale son trop-plein de pages parmi les piles, la lumière pâle d’étalage. J’observe Edouard. Il a l’emploi de son prénom. Il est distant des gens comme l’Edouard d’avant, celui qui n’a pas été président. Le style Edouard-Philippard ne s’invente pas, il s’enseigne au Conseil d’Etat. La librairie nous réunit. Edouard et moi, sous l’œil des gens de maison. Vu de la rue, il y a trois pelés et un tondu. Edouard taquine sa machine, fait galoper ses doigts. Il fait l’utile, s’acquitte de sa besogne tactile. Il est masqué. La barbe bicolore est interdite aux regards. Un bout de tissu noir veille à la conformité sanitaire. Edouard n’est pas le géant des écrans. Certes, il est longiligne quand il imprime ses signes. D’Emmanuel, il a appris le souci de son nombril. Au rayon Histoire, je considère Edouard, lui applique mes rudiments d’éthologie. Il n’obéit qu’à une loi : le sentiment de soi. Il soigne une parure, se mire dans le contentement d’une suffisance cérébrale. Edouard s’apprécie, s’autorise une coquetterie de légitime dignitaire. L’homme du Havre et des sensations portuaires ne souhaite pas y finir ses jours. « Finir au Havre ». S’y enterrer. C’était le caprice confessé d’un écrivain de la pire espèce. C’était le rêve de dernier abîme de Louis-Ferdinand Céline. La songerie de Destouches aurait fait tache sur la ville. C’est pourquoi il meurt à Meudon, loin des grands horizons. Edouard s’oblige à la fantaisie, joue la décontraction, se conforme au marketing d’empathie. Il surligne en blue jean un jeu de jambes d’aimable pugiliste. La posture nombriliste m’instruit sur sa qualité d’artiste. Edouard sonne son garde du corps. Le valet de pied rentre sans se frotter les phalanges d’eau bénite. On le sent à demeure. Edouard voudrait signer. Il est atteint de la maladie du paraphe depuis un récent séjour, rue de Varenne, à deux pas. Il s’est exercé à griffer. « Impressions et lignes claires ». Du Lao-Tseu apocryphe. Edouard aimerait commencer à dessiner les jambages d’une dédicace à Bernadette, Paulette, Marcel ou Gaston. Edouard interroge son faire-valoir. : « Faut toujours une attestation pour sortir ? Encore un coup tordu de ce con de Castex. Il s’est juré de bouziller mon service de presse ».

Aucun commentaire: