jeudi 29 avril 2021

Indépendance

Le prince accorde un entretien aux journaux de province. Il accepte qu’on l’interroge, s’y soumet en modeste. Je déconstruis la fable comme on dit ces jours-ci. Je songe au titre d’un bel ouvrage de Pierre Michon : « Le roi vient quand il veut ». Il y parle d’écriture, de style, de littérature. Le prince s’invite en première page, à cause du tirage local, selon son bon plaisir, au gré de ses désirs d’avenir. Il s’impose au papier journal. Il n’acquiesce pas, d’un sourire courtois, à la douce sollicitation du notable de région. Il lui tord le bras. D’autorité, il veut une pleine page pour s’exprimer. La presse est libre. Libre d’être convoquée par son prince. Le cordon ombilical est coupé entre les médias et l’Etat. Depuis belle lurette, Mitterrand et les chaînes commerciales. Vraiment ? L’Etat subventionne les publications sans lecteurs, les subordonne, leur assure les fins de mois. Soudain je pense mal. Je pense aux mauvaises fées qui, aux frais de la princesse, s’approprient mes précieuses données. Le rapt est indolore. Aux Gafa, je ne verse aucune dîme. Mon journal de référence, je l’achète au kiosque, le finance par l’impôt, en accepte les pâles publicités, en tolère la dépendance aux puissances et grandeurs d’établissement. Je suis un citoyen Gafa. Google satisfait ilclico presto mes recherches tous azimuts. Amazon, je l’ai découvert au début de la guerre. En plein confinement, à l’heure où les plateformes locales déclaraient forfait. Dans la disette, Jeff Bezos m’a acheminé des chefs d’œuvre. Je sais ce que je lui dois. Facebook élargit tous les jours mon horizon culturel. J’y converse avec des érudits qui partagent mes lubies. « Le livre des visages » a vieilli d’un coup mon vieux journal de kiosque. Et pour clore l’ensemble, Apple produit l’outil universel qui autorise tous les services numériques qui embellissent une vie intellectuelle. Du temps de Pompidou, la télévision était « la voix de la France ». Les choses étaient claires. De Gaulle s’attablait chez lui, à l’ORTF : les chefs étaient gaullistes, les artistes communistes. Le prince séjournait en sa télévision d’Etat. Aujourd’hui, il squatte n’importe quel média, public ou privé. Autrement dit, les impératifs d’audience et de bonne intelligence avec les pouvoirs se conjuguent pour vider de sa substance l’idéal d’indépendance. Indépendance : mot creux de discours pieux.

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