jeudi 19 décembre 2024

19 décembre 1964, Panthéon : Malraux, Moulin, de Gaulle

Malraux, malreux, malheureux vite dit, vieillit à Verrières le Buisson, loin de la brousse et de la sagesse, proche ami de la folie. Dans ses contorsions de visage, ses arabesques de main et ses concassages de mots, Malraux évoque Artaud, mais Verrières n’est pas Rodez, Malraux n’est pas Momo, moins beau sous son faux air de faussaire. Ami de la folie. Ami génial écrit de Gaulle. Ami des génies, du général et des mauvais. Malraux sait trouer la phrase avec de vrais cartouches. Au Siam, il chipera les dernières économies d’une vieille civilisation d’Orient: Nique Ta Khmère. Mais Malraux, c’est quand même un type qui frissonne pour une voyelle, qui s’émeut pour une virgule. Au reste, il y a beaucoup d’élégance à aimer l’art de son temps, c’est à dire de Gaulle. Oui, Malraux - tics, toc, tact - frappe fort à la porte de l’Histoire. Il revient au Panthéon comme sur les lieux d’un cri. “ Aujourd’hui jeunesse... ”. Ce visage de craie secoue l’indécis alliage de ses brisures. Il exorcise sa hantise de la finitude par la bougeotte aventurière, l’émoi d’un faux mouvement. Malraux voit du même oeil que Baudelaire, le noir. “ Chez Malraux, la vision précède la vue ”, diagnostique en connaisseur Dominique de Roux. C’est l’âge où son corps s’est fixé, comme un lézard vieillard à cuir rouge, à l’arrêt sur la photo du souvenir, grands yeux saisis dans les phares de l’éphémère, entre Mandiargues et Neruda finissants. Cet aventurier est roturier de l’intelligence. “ Malraux chez Louise de Vilmorin, c’est le vieux rêve rentré de Proust admis chez la duchesse de Guermantes ”. Fulgurant Dominique de Roux qui traque à merveille cette espèce de gibier, et qui tord le cou, d’une phrase immédiate, à la thèse du complot anti-Proust. Malraux ne fait que rattraper le temps perdu. Gaullien? Pourquoi? Pour rien. Rien que pour de Gaulle. Et puis, la mort, qui rôde et lui mordille les chevilles. Celle du grand père et du père qui le vaccine du suicide, du petit frère et du grand frère en Dostoïevski, de la belle romancière et de ses fils. Cette mort, il l’apprivoise en chef, comme une affaire de famille. Elle vient des femmes puisqu’elles donnent la vie. Il remue cette idée de grandeur, brève apparition de rêve, qu’il a vue, qu’il veut revoir, sa vie durant. C’est pourquoi Malraux shoote dans le “ petit tas ” et prend l’avion. Ce grand brûlé des accidents de l’Histoire s’envole vers le ciel pour contempler la terre. En Drieu, il croit, il admire un dieu à rire sec, dandy à griffe, brutal et doux comme le métal. Dans la cour des grands, le mirobolant Dédé veut ressusciter la fraternité des récrés. Il est élégant, pour l’exemple. Chic et déstructuré, ample. Car les enfants regardent. “ Les honneurs déshonorent; le titre dégrade; la fonction abrutit ”. Goncourt, colonel, ministre, grand homme de Panthéon, Malraux résiste au klaxon de Flaubert. C’est un résistant à peau coriace. D’ailleurs, le Panthéon lui sert de prétexte à gueuloir. Il y déclame la Résistance. D’où son amour pour la beauté, qui toise de haut la mort des hommes. Bref, Malraux ne fait qu’une bouchée du déshonneur de la gloire. Il se fiche de cela. A la manière de Chateaubriand: “ La gloire est pour un vieil homme ce que sont les diamants pour une vieille femme: ils la parent, et ne peuvent l’embellir ”. Malraux devient beau comme un Rousseau car tels sont les canons des camions du Panthéon. André s’est ennuyé à se voir embaumer. Il n’a pas supporté cette faute de goût, la sotte trouvaille de collégiens dévoués: les grands chats d’Egypte. Il s‘est repassé sa vie comme s’il allait mourir. Revoir une jeunesse. Aujourd’hui. https://catalogue.5senseditions.ch/fr/poesiereflexiontheatre/192-l-amitie-de-mes-genoux.html

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