lundi 20 décembre 2010

Amitié, oeuvre

Les mots maltraités renseignent sur l'état dégradé des moeurs de la société. L'amitié, l'un des plus référents du lexique, renvoie à la tradition de la philosophie, non seulement par l'étymologie, mais aussi par sa douleur de chair entre Montaigne et La Boétie.
Or l'époque balaie la pudeur d'un revers de main, d'un clic désinvolte. Elle dégringole dans un dévoiement systématique à la Warhol. Les amis grouillent dans la mare à nénuphars des réseaux sociaux. L'opportunisme de la relation fixe la règle de l'exposition des intimités. A Web ouvert. L'ami est comptabilisé comme un signe extérieur de richesse Internet. Facebook organise le marché planétaire de la surenchère de l'amitié ustensilaire. L'ami est une monnaie d'échange, pas même vivante à la Klossowski, mais une sorte de dollar d'un Far West imaginaire. L'ami file entre les doigts.
L'oeuvre de l'esprit est pareillement trivialisée. Les marchands des médias la désignent désormais du nom brut de contenu. L'oeuvre nue, soumise à la question incessante du marché, est taillée au format minimal du contenant. Le contenu est dépossédé de ses singularités plurielles C'est une marchandise stockée en vrac, une commodité au sens anglo-saxon, dont le flux s'indifférencie dans les tuyaux comme l'eau des lavabos.
Nous sommes abreuvés de contenu, cette denrée nourricière sacralisée par le marché. Nous sommes rassasiés d'écrits, de sons et de lumières, sur les écrans bien nommés qui font barrage au réel. Le contenu est produit dans des fermes appropriées avec un zèle industriel suivant la méthode intensive appliquée aux champs de céréales. Exit la patience de l'oeuvre. Exit le souffle de l'esprit.

Aucun commentaire: