lundi 6 décembre 2010

Jeanne et Jean

Il est des jours où la coulItaliqueeur fait mal aux yeux. Trop de stridence chromatique casse les oreilles. On se réfugie alors dans un passé de luxueux films aux ombres ouvragées. Le noir et blanc repose des cris de couleurs vives. Il apaise jusqu'au son des dialogues.
On entre dans La Baie des Anges, l'oeuvre de Jacques Demy, comme dans une église. Le mot est de Jeanne Moreau, alias Jackie, à moitié paumée, blonde créature rejetée de la vie, égarée sur la Riviera. Il évoque le rituel des salles de jeu aux heures sans soleil. On se décoiffe dans un casino:pas besoin d'écouteurs, de casque ou de fils pour jugulaire. La liturgie de la roulette enivre comme le goût persistant d'un vin voyou. Demy s'applique. La tête du (télé)spectateur tournoie comme la bille des rouges et des noirs. C'est un film à la Rimbaud qui fixe des vertiges. La litanie des numéros sortis rythme le récit telle la ritournelle d'un jeu de marelle. La maladie du jeton est peinte avec une juste affection, un charme secret pour les embellies du hasard.
On s'émeut de Jeanne et de son addiction, de Jean et de son improbable diction. Mais le plus beau réside dans le "Jean !" panique, cri de chair de Jeanne, détonation finale en plein coeur, dans le bleu du ciel aveugle. La suicidée du tapis vert dépose son arme, se convertit, rentre dans les ordres, s'enfuit du Négresco.
L'admirable fin rappelle La Peau Douce, le coup de fusil de femme trahie, à bout portant, sur Desailly, ou l'explosion solaire de Pierrot le Fou. Autant de derniers cris. C'est l'histoire de Jeanne et Jean, gens sans entregent, adonnés aux jeux vénéneux d'autres salles obscures, dans une ronde infernale ponctuée d'alcools forts.
Bouleversante soirée sur Arte. Dimanche à marquer d'une pierre blanche. Avec la joie de croiser la silhouette nonchalante d'un grand acteur de théâtre, Paul Guers, immense comédien si oublié depuis tant d'années.

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