mercredi 16 mars 2011

Lire Céline

Aragon ne tournait pas autour du pot. "Devant le génie, il convient que l'on se décoiffât". Pas besoin de kermesse républicaine. Juste un petit geste du béret.
M. Kéchichian s'attarde sur les écrits ignominieux de Céline. Il a raison. Pas facile de lui pardonner. Le docteur Louis Destouches est un salaud de la pire espèce, raciste pour deux, antisémite pour trois. Reste que la minuscule ordure est un géant de la littérature. Louis-Ferdinand Céline est un génie poétique. Il est "final" comme La Fontaine.
Inutile de célébrer l'homme ignoble, pas commémorable pour un sou. Inutile de bâcler des petites phrases sur l'immense styliste. Il faut passer à autre chose: il faut lire Céline. C'est un bonheur que nous réserve la vie. "Voyage au bout de la nuit", "Mort à crédit", "D'un château l'autre" sont trois somptueux chefs d'oeuvre. On n'en sort pas indemne. On en sort grandi. La beauté du texte exige un pieux respect.
Alors quand la République se mêle d'honorer ses artistes, il faut lui interdire l'accès à l'homme mauvais cloîtré derrière son oeuvre. Ne vaut la peine que d'aimer. Or avec Céline - et plus précisément ses grands livres - , on est récompensé au-delà de toute espérance. La littérature française rayonne en majesté. On déclame les phrases d'un magnifique écrivain. La voix s'étrangle. On est submergé par l'émotion.
Je lis "Mort à crédit". Céline raconte son enfance. Il fonce dans la langue, la défonce, tisse une dentelle délicate. Les mots sont des vitraux de poésie. Je suis accueilli en seigneur à bord du Folio. Céline s'admire écrire, s'émeut à ses souvenirs, se noie violemment, à pleine voix, dans "un sortilège de douceur". On ne quitte pas "Mort à crédit" comme ça. On est boxé dans les cordes. Le bouquin reste entre les mains. Il colle à la mémoire, s'imprime dans la chair, squatte le corps. On songe à Nora, la sublime noyée des mois de pensionnat. Nora règne sur une centaine de pages comme la plus éperdue des beautés égarées. On revoit Courtial à l'aube, troué dans la tête. "Non, mon oncle" sont les derniers trois mots de l'ébouriffant poème. Céline est expert en pudeur. Il y est question de la mort. En face. De la vie aussi.
Bref, on peut renvoyer la célébration de Céline aux calendes grecques, l'ajourner sine die. Pareilles péripéties importent peu. Il faut lire Céline illico presto.

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