mercredi 4 avril 2012

Le raté et les réussis

Le temps a passé. La douleur ne s'est pas apaisée. Mohamed Merah, l'abominable tueur, a réveillé le manichéisme qui sommeillait dans les consciences. Le mal était identifié. C'était une bête à cornes. C'était l'assassin démoniaque de juifs et militaires, de fillettes et pères de famille. Le bien était illustré par le Raid. Hommes de vertu, hommes de courage.
La société s'est débarrassée du diable manu militari. Le bien a triomphé du mal. Happy end. Morale hollywoodienne sauve.
Merah mort restaure les valeurs. L'homme - car c'en est un - a été chassé de la société. Nul n'a consenti à le regarder comme un frère de chair. On l'a disqualifié de sa condition. D'emblée, ses meurtres odieux l'ont retranché de l'humanité. Pareil ostracisme réhabilite le couperet fatal d'une guillotine mentale.
J'ai été gêné par les mots des docteurs de la loi. Sur les impitoyables plateaux de télévision, des aréopages de "réussis", légion d'honneur au veston, évoquaient Merah, vingt-trois ans, comme "un raté". Avec un sourire de commisération pharisienne. Les politiques surenchérissaient dans l'escalade lexicale. Merah était désigné comme "un monstre" ou "un barbare".
Non, Merah n'appartenait pas au règne imaginaire des chimères maléfiques, mi-yéti, mi-bête du Loch Ness. C'était un homme parmi les hommes. Sa civilisation - comme celle des nazis - était la nôtre. Le terme "barbare" disconvenait.
Merah était un homme de violence, comme n'importe quel autre sur cette terre en souffrance. Il est passé à l'acte de ses ignobles désirs. Merah a été enterré du bout des lèvres. C'est un soleil noir que les hommes voilent à leur regard. On songe à la phrase de la duchesse de Guermantes:" Il n'y a rien de plus triste que les deuils qu'on ne peut pas porter" ("Le côté de Guermantes", Marcel Proust, La Pléiade, page 529).

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