vendredi 10 avril 2020

Pourquoi Raoult ?

Pourquoi Raoult ? Il a suffi d’une chauve-souris pour qu’il défraie la chronique, pour qu’une coquine chloroquine éparpille les doctes croyances des pontifes de médecine.
Il a suffi de l’envol d’une bestiole pour que d’insoucieux libéraux se réclament mordicus d’un collectivisme partageux, que des suppôts d’un capitalisme heureux revendiquent un communisme moyenâgeux. Bruno, le renouveau. J’entends l’écho.
La révolution d’une chauve-souris a balayé les démangeaisons de chamboule-tout du chef guérillero.  On a tous lu, surligné, annoté, recopié l’ouvrage « Révolution » du candidat lettré du Touquet.  Mais la chance a souri à la bestiole. A la fin, c’est la chauve-souris qui rafle le premier prix d’épidémie, la palme du grand chambardement.
La planète est morte comme une ville déserte de western, murée dans sa torpeur muette.

Pourquoi Raoult ? Parce que Macron, tel Coty en 1959, se précipite au devant d’un sauveur, remet les clés du Palais au grand timonier, général d’hôpital. La chauve-souris se joue des fils blancs dont est prétendument cousue la noble Histoire des hominidés.  
On ne pense jamais à tout. La bestiole nous rappelle Nafissatou. Le hasard bouleverse l’ordre des causes. L’effet Nafissatou était un sortilège de mauvaise fée. Une femme de journée d’un palace nouillorquais, un Sofitel merdique, avait scellé le destin d’un peuple incertain, avait désigné sans coup férir le président d’une contrée vieillotte à bérets surannés. Lui succéda un rond prélat à joues de trompettiste. L’onctueux prince à cravate de travers contraignit Montebourg à rendre son tablier. Il propulsa un stagiaire à Bercy, l’installa au ministère. Le futur gardien d’abeilles créa de toutes pièces le petit gars du Touquet.

Pourquoi Raoult, après Nafissatou et le bel Arnaud ? Parce que les coups de dés de l’Histoire, les coups de mentons des pouvoirs, n’abolissent pas le hasard. La chauve-souris, mauvaise marcheuse, excelle à promouvoir des destins aléatoires, se plaît à provoquer des fatalités infectieuses. 

mercredi 8 avril 2020

Koltès

Avril. Koltès y imprimes ses actes d’état civil. Date de naissance : le 9. Date de trépas : le 15. Dans l’intervalle, durant l’entracte, il rédige d’autres actes, imagine un théâtre, « une histoire de grandeur racontée par des corps » (Albert Camus).

« Koltès se lit d'une traite. Dans la Solitude des champs de coton. J'en vérifie l'aptitude au temps long. Une heure à déclamer, en prévision des Amandiers, de la journée Chéreau, à prononcer des mots comme se poursuit le bréviaire d'un homme de presbytère.
Je récite Koltès. Je m'acclimate à sa phrase. D'une pièce, d'un seul tenant, elle se jette dans l'océan, dans le blanc d'avant. Elle dit une fatalité d'anthropologie. Une peur d'insecte tenaille le dealer du texte. Dans un monde de brutes, les demoiselles cassent la vaisselle, sont lauréates des pugilats.
Isaach de Bankolé est un acteur camerounais, l'Abad de Quai Ouest, dont la bouche est scellée. Avant les représentations, le comédien travaille sans rien, construit un corps sans bruit, habite une faillite, s'accoutume au défaut des mots.
L'entourage s'effraie. Le grand Nègre est hospitalisé à Sainte-Anne. "Moi j'ai tout de même passé une nuit là-bas. Ils ont ouvert le grand dortoir, c'était comme la Banque de France : portes blindées, larges comme ça".
On a mendié l'accès des Amandiers. On s'est livré les premiers au sourire du portier. On a garé nos fessiers.
Pascal Greggory est une sorte de grizzli. Son bras menace l'infini. Sa nuque repose sur l'omoplate. La courbure indique une blessure de trottoir. La diction sonne comme une malédiction. Chéreau mâche ses mots, rumine une famine.
La Solitude est un monologue de rue, une apparence de roc fendu, une habitude de parler brut. La nuit précise l'indécise ressemblance des sosies. L'heure est aux corps qui s'empoignent.
Ils jettent des syllabes, du sable sur les plaies. Les mots sont des brûlures sur les os. L'homme est une épaule, un portique au manteau sans écho. Ils se frôlent entre deux halls. Ils dansent sur une absence, tournoient dans l'embarras. Ils se ruent dessus, se rouent de coups, se rient de la cérémonie. La rudesse de Koltès est tassée dans un texte sans vieillesse. »

Ce texte est extrait de « Dancing de la marquise » (Editions 5 Sens Editions, pages 117/118). L’ouvrage est disponible à l’adresse suivante :
https://catalogue.5senseditions.ch/fr/belles-plumes/322-dancing-de-la-marquise.html

mardi 7 avril 2020

Cingria dans un cabas

J’appartiens à la troisième ligne, au gruppetto des lâchés du peloton. Il dérive sur l’asphalte à plusieurs minutes des héros du front. De loin, j’observe les courbes en montagnes russes du virus. A mon balcon, j’applaudis les champions. Mais je n’ai plus rien dans les mollets, bientôt on me fourrera dans la voiture-balai.
 Pour moi, le sentier de la guerre, c’est un couloir, de la lumière qui nargue un locataire. Les denrées manquaient au début du péril, mais pas les domiciles. Alors on a misé sur la maison. On s’est terré dans les tanières. On en avait une palanquée, inutile d’en commander. En revanche, les mendiants du macadam étaient des déserteurs inconséquents.  Les vagabonds s’exonèrent pour de bon des prouesses du front.
La mobilisation s’apparente à une immobilité. On s’assied, on se tait. On attend la vérité d’un monsieur aux yeux d’acier. Le temps est trop grand. On flotte dans son vêtement. On est lié, domicilié, serré, incarcéré. Le temps est infini, l’espace est tout petit. On se cogne à l’espace/temps de l’appartement. On meuble le cantonnement avec des expédients.
 Martedi ou mercoledi. On ne dévisage plus les nuits. On confond les pénombres. On se réveille sans identifier la peinture du mur. On est là et pas là. On songe au Horla. Le temps est un roman fleuve qui charrie les rêveries.
Dans l’embrasure d’une littérature, je suis sorti sans me faire voir. Je croyais. La gendarmerie m’a demandé un permis de fantaisie, la maréchaussée des papiers d’échappée. J’argue d’un shopping chez Céline, Hölderlin et Kipling. J’ai décrit mon caddie. J’étais sorti du périmètre consenti. Ils m’ont fauché les denrées. Je suis rentré avec Cingria dans mon cabas. Ni vu ni connu. Asile suisse.

samedi 4 avril 2020

Lettre ouverte 2

Je ne suis pas attentif aux autres écrivains. Non. Il m’est quelquefois reproché d’employer à tort le beau mot d’épiphanie.  Je le disperse dans mes pages, par poignées, pour qu’il me guide sur la route. Je ne suis sensible qu’aux apparitions, aux illuminations, aux images qui jettent des sorts.
Bleu comme la Glaise agit en moi comme un sortilège. C’est un livre talisman qu’on donne à celui ou celle qu’on aime, parce qu’il reflète une identité par le goût qu’il manifeste, mieux que le dessin rapide d’un visage, mieux qu’un poème confectionné de ses doigts.
Cet échange secret, je l’ai pratiqué avec Un Beau Ténébreux, j’avais alors vingt ans. J’épinglais « mes petites amoureuses » avec le texte incantatoire de Gracq. Aujourd’hui, ce livre me fait peur. J’ai lu, relu il y a peu l’œuvre de Gracq, sauf le roman de Christel et d’Allan qui d’avance me faisait mal.
Non. Je suis attentif à ce que tu écris, Laure. Je suis un chasseur à l’origine, je guette les vols sauvages des phrases, j’observe en silence leur nécessité littéraire. Or j’aime ton écriture, un mélange d’autorité et de souplesse quasi féline, une sorte d’intransigeance déliée qui donne à la sensualité sa précieuse fierté. J’ai envie de te lire, de tout lire. Je sais que rien n’est plus intime qu’une phrase, qu’elle révèle l’éclat d’un visage.
Non. Je ne suis pas modeste du tout. Je suis égoïste, assez vulgairement personnel. La petite bande d’Oppède a réveillé en moi des démons. Elle me libère, m’autorise soudain de tenter l’aventure, d’écrire le récit de mes quatorze ans. C’est cette fraîcheur de l’envie, ce petit souffle assez doux dans le cou qui régénère un élan velléitaire, qui ranime une vieille connaissance engourdie. Or ce vent de printemps, il t’appartient, il me suggère une attente, il opère comme un signe.

Lettre ouverte

François Cassingena-Trevedy est un homme qui a élargi, agrandi, enrichi ma vie. L’œuvre qu’il a entrepris d’écrire m’est aujourd’hui nécessaire. Le moine de Ligugé est « un artiste des taches les plus humbles » : prier, travailler la mer, étudier d’arrache-pied.
Ses textes diffusent une lumière, réverbèrent une beauté qui m’émeut. A défaut de les partager, j’aime communiquer mes passions, mes foucades qui ne sont pas toujours frivoles, illusoires peut-être mais spontanées, mes fragilités qui sont des ancrages, presque des certitudes.
Mais il arrive que je me fourvoie, que j’expédie un texte précieux à des destinataires absents, que je me trompe de porte.  C’est le jeu.
Au reste, oui, l’heure est grave. Je sais qu’un homme politique n’est pas un roi thaumaturge, qu’il est un homme comme les autres.
En revanche, je ne sais pas ce que c’est qu’un grand chrétien. Et je ne crois pas qu’un moine doive s’interdire d’évoquer la justice, ne serait-ce que par la justesse de ses mots.

vendredi 3 avril 2020

L'or

C’est un livre qui cogne, qui m’a secoué, de l’alcool peur, une écriture d’un bleu dur comme un ciel pur.
Ton récit, celui d’une vie, a ruisselé dans mes veines, s’est absorbé dans mon rêve, a cheminé dans ma peur, s’est enseveli dans un souvenir. Il m’enveloppe, me traverse, squatte une mémoire, obsède comme la couleur du bled, la torpeur d’Oppède.
J’ai senti, pressenti Fred, dans les parages des pages. J’ai identifié une foi dans la manière d’être soi. Dès l’entrée, j’étais incarcéré dans une même éternité.
C’est l’histoire d’une magie, d’un mystère raconté par l’aurore. On ne saura rien, d’instinct, comme un bien du destin. Le livre aux mille bleus fait cligner les yeux, froisse la couture des paupières.
J’ai fini, je n’aurai jamais fini, je rassemble mes esprits. Ton livre, il me désennuie puisque j’écris, j’ai bien compris je crois, des bouts d’autrefois.
Rodolphe. J’ai connu Allan, à lire, déclamer Gracq, serrant dans mes doigts un petit volume à phrases d’azur, le recueil de Corti. Un Beau Ténébreux, Bleu comme la Glaise. J’y ai laissé les rudesses d’une jeunesse.
La dernière image, la première, la mer, les plages et puis les pages. D’Ostie à Port-Saïd. « Le vent ne livre rien de ses antécédents ».
Laure, tu as réveillé mes souvenirs de la bande d’alors. Ton bleu missel est universel.
Il est immobile, comme le sont les saisons, les tournoiements rituels d’une « grande roue bleutée ».
Casino. « Un jeu qui n’est joyeux que dans la spontanéité ». La martingale du Chinois. Dans nos années Sainte Geneviève, te souviens-tu d’un Russe incertain, du cérébral Goldschmann ? Un jour, je raconterai.
Staël qui donne au ciel son style. Sa peinture, je la décalque sur mes cahiers d’écriture. Tu te balades en bordure de Ménerbes. Mes idées s’embrouillent. Je m’exprime par bribes. Les choses se chevauchent dans ma tête. Deleuze, avenue Mozart, Allan, le type d’Antibes. Je ferme la fenêtre. Je bande mes yeux. Je vais me taire. Sviatoslav Richter est impérieux. Le piano bâillonne les mots.

Je te suis, reconnaissant. Je veux dire que du doigt sur chaque mot du livre, je suis le cheminement de ton sang. Laure, je voudrais poser mes lèvres sur ton livre : j’embrasse la couverture. Ton front.

mercredi 1 avril 2020

Pompidou

Il est mort un 2 avril. Il est mort d’une maladie effroyable. Pompidou était rude au mal. Son mandat de président fut écourté. Il accomplit le premier quinquennat de la Cinquième République, le plus abouti. Dans « Le nœud gordien », texte testamentaire, l’homme nous prévient : « Le fascisme n’est pas improbable, il est même, je crois, plus près de nous que le totalitarisme communiste ».

« La politique s'est arrêtée à Pompidou comme la peinture au Lavandou. L'homme aimait l'auto et les mégots. La poésie et l'industrie. Il se méfiait des grands mots. La pudeur était sa demeure, un for intérieur, une parole d'honneur. " Dans notre famille, on ne se couche que pour mourir ". Quarante ans qu'il nous manque, qu'on nous flanque au balcon des premiers communiants, que font long feu des petits morveux sans grand sérieux.
Pompidou a vingt-et-un ans. Il griffonne à Pujol qu'il est tenté par l'opium. J'aime Pompidou, compagnon de Poulidor et des sons du terroir. Il est facile dans les cols, à l'aise en Mai qu'il démêle, collectionne Staël. Il est désinvolte, brillant, rude au mal. De Gaulle : il rédige à sa droite. »

Ce texte est extrait de « La cicatrice du brave » (5 Sens Editions, 2017, page 73). L’ouvrage est disponible à l’adresse suivante :


https://catalogue.5senseditions.ch/fr/belles-plumes/90-la-cicatrice-du-brave.html