Avril. Koltès y imprimes ses actes d’état civil. Date de
naissance : le 9. Date de trépas : le 15. Dans l’intervalle, durant
l’entracte, il rédige d’autres actes, imagine un théâtre, « une histoire
de grandeur racontée par des corps » (Albert Camus).
« Koltès se lit d'une traite. Dans la Solitude
des champs de coton. J'en vérifie l'aptitude au temps long. Une heure à
déclamer, en prévision des Amandiers, de la journée Chéreau, à prononcer des
mots comme se poursuit le bréviaire d'un homme de presbytère.
Je récite Koltès. Je m'acclimate à sa phrase. D'une
pièce, d'un seul tenant, elle se jette dans l'océan, dans le blanc d'avant.
Elle dit une fatalité d'anthropologie. Une peur d'insecte tenaille le dealer du
texte. Dans un monde de brutes, les demoiselles cassent la vaisselle, sont
lauréates des pugilats.
Isaach de Bankolé est un acteur camerounais, l'Abad de Quai
Ouest, dont la bouche est scellée. Avant les représentations, le comédien
travaille sans rien, construit un corps sans bruit, habite une faillite,
s'accoutume au défaut des mots.
L'entourage s'effraie. Le
grand Nègre est hospitalisé à Sainte-Anne. "Moi j'ai tout de même passé
une nuit là-bas. Ils ont ouvert le grand dortoir, c'était comme la Banque de France
: portes blindées, larges comme ça".
On a mendié l'accès des Amandiers. On s'est livré les premiers au sourire du portier. On
a garé nos fessiers.
Pascal Greggory est une sorte de grizzli. Son bras
menace l'infini. Sa nuque repose sur l'omoplate. La courbure indique une
blessure de trottoir. La diction sonne comme une malédiction. Chéreau mâche ses
mots, rumine une famine.
La Solitude est un monologue de
rue, une apparence de roc fendu, une habitude de parler brut. La nuit précise
l'indécise ressemblance des sosies. L'heure est aux corps qui s'empoignent.
Ils jettent des syllabes, du sable sur les plaies. Les
mots sont des brûlures sur les os. L'homme est une épaule, un portique au
manteau sans écho. Ils se frôlent entre deux halls. Ils dansent sur une
absence, tournoient dans l'embarras. Ils se ruent dessus, se rouent de coups,
se rient de la cérémonie. La rudesse de Koltès est tassée dans un texte
sans vieillesse. »
Ce texte est extrait de « Dancing de la
marquise » (Editions 5 Sens Editions, pages 117/118). L’ouvrage est
disponible à l’adresse suivante :
https://catalogue.5senseditions.ch/fr/belles-plumes/322-dancing-de-la-marquise.html
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