samedi 4 avril 2020

Lettre ouverte 2

Je ne suis pas attentif aux autres écrivains. Non. Il m’est quelquefois reproché d’employer à tort le beau mot d’épiphanie.  Je le disperse dans mes pages, par poignées, pour qu’il me guide sur la route. Je ne suis sensible qu’aux apparitions, aux illuminations, aux images qui jettent des sorts.
Bleu comme la Glaise agit en moi comme un sortilège. C’est un livre talisman qu’on donne à celui ou celle qu’on aime, parce qu’il reflète une identité par le goût qu’il manifeste, mieux que le dessin rapide d’un visage, mieux qu’un poème confectionné de ses doigts.
Cet échange secret, je l’ai pratiqué avec Un Beau Ténébreux, j’avais alors vingt ans. J’épinglais « mes petites amoureuses » avec le texte incantatoire de Gracq. Aujourd’hui, ce livre me fait peur. J’ai lu, relu il y a peu l’œuvre de Gracq, sauf le roman de Christel et d’Allan qui d’avance me faisait mal.
Non. Je suis attentif à ce que tu écris, Laure. Je suis un chasseur à l’origine, je guette les vols sauvages des phrases, j’observe en silence leur nécessité littéraire. Or j’aime ton écriture, un mélange d’autorité et de souplesse quasi féline, une sorte d’intransigeance déliée qui donne à la sensualité sa précieuse fierté. J’ai envie de te lire, de tout lire. Je sais que rien n’est plus intime qu’une phrase, qu’elle révèle l’éclat d’un visage.
Non. Je ne suis pas modeste du tout. Je suis égoïste, assez vulgairement personnel. La petite bande d’Oppède a réveillé en moi des démons. Elle me libère, m’autorise soudain de tenter l’aventure, d’écrire le récit de mes quatorze ans. C’est cette fraîcheur de l’envie, ce petit souffle assez doux dans le cou qui régénère un élan velléitaire, qui ranime une vieille connaissance engourdie. Or ce vent de printemps, il t’appartient, il me suggère une attente, il opère comme un signe.

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