mardi 7 avril 2020

Cingria dans un cabas

J’appartiens à la troisième ligne, au gruppetto des lâchés du peloton. Il dérive sur l’asphalte à plusieurs minutes des héros du front. De loin, j’observe les courbes en montagnes russes du virus. A mon balcon, j’applaudis les champions. Mais je n’ai plus rien dans les mollets, bientôt on me fourrera dans la voiture-balai.
 Pour moi, le sentier de la guerre, c’est un couloir, de la lumière qui nargue un locataire. Les denrées manquaient au début du péril, mais pas les domiciles. Alors on a misé sur la maison. On s’est terré dans les tanières. On en avait une palanquée, inutile d’en commander. En revanche, les mendiants du macadam étaient des déserteurs inconséquents.  Les vagabonds s’exonèrent pour de bon des prouesses du front.
La mobilisation s’apparente à une immobilité. On s’assied, on se tait. On attend la vérité d’un monsieur aux yeux d’acier. Le temps est trop grand. On flotte dans son vêtement. On est lié, domicilié, serré, incarcéré. Le temps est infini, l’espace est tout petit. On se cogne à l’espace/temps de l’appartement. On meuble le cantonnement avec des expédients.
 Martedi ou mercoledi. On ne dévisage plus les nuits. On confond les pénombres. On se réveille sans identifier la peinture du mur. On est là et pas là. On songe au Horla. Le temps est un roman fleuve qui charrie les rêveries.
Dans l’embrasure d’une littérature, je suis sorti sans me faire voir. Je croyais. La gendarmerie m’a demandé un permis de fantaisie, la maréchaussée des papiers d’échappée. J’argue d’un shopping chez Céline, Hölderlin et Kipling. J’ai décrit mon caddie. J’étais sorti du périmètre consenti. Ils m’ont fauché les denrées. Je suis rentré avec Cingria dans mon cabas. Ni vu ni connu. Asile suisse.

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