jeudi 16 avril 2020

Sartre

« Melancholia, c’était le titre de Sartre. Un beau titre. Dans son petit bureau de la rue Bonaparte, il désignait une gravure, la reproduction d’une toile de Dürer.
Gaston ne mange pas de ce pain-là. Il impose à Sartre l’inutile Nausée. Sartre se conforme au diktat Gallimard, retouche l’ouvrage, biffe des bouts de pornographie. C’est son premier livre publié. Il est satisfait de pouvoir garder l’épigraphe, la citation de Céline : « C’est un garçon sans importance collective, c’est tout juste un individu » (L’Eglise, 1933).
La sortie du méchant bouquin révèle en Roquentin un pedigree célinien. A l’époque, Staline goûte la prose de Destouches. Le Voyage au bout de la Nuit  est le livre de chevet de Joseph Djougachvili.
Sartre a l’âge du Christ en croix. « Dans les église, à la clarté des cierges, un homme boit du vin, devant des femmes à genoux » (Folio, pages 66/67). La machine est lancée. Cau, son secrétaire, prix Goncourt en sa jeunesse de gauche, pestiféré en sa vieillesse de droite, fignole un saisissant portrait du Prix Nobel réfractaire. Il peint un homme bien : « Au fond, le cœur, un cœur immense lui était monté à la tête » (Croquis de Mémoire, 1985).
Je grelotte dans le petit bois du Ranelagh. Je ne veux pas rater la conférencière du musée. Corot, avant Sartre, se décoiffe devant la peinture de Dürer. Les pinceaux de Corot lui font écho en sa boudeuse Melancholia. Je suis content que le musée Marmottan l’ait rapatriée de Copenhague. »

Ce texte est extrait de l’ouvrage « Dancing de la Marquise » (5 Sens Editions, 2020). Il est disponible à l’adresse suivante :
https://catalogue.5senseditions.ch/fr/belles-plumes/322-dancing-de-la-marquise.html

« Sartre passe les dix dernières de sa vie avec Flaubert. L’aveugle, à contre courant, pactise avec L’Idiot de la Famille. Il finit ses jours avec Cruchard. Il mourra, trois milliers de pages au compteur, laissant Gustave au milieu du gué, n’achèvera pas le chantier. C’est une œuvre de toute première grandeur qui explore deux continents qui se touchent : l’acteur et l’auteur.
Le jeune Gustave se destine à la comédie. Il improvise des farces, il joue des bouffonneries. Flaubert veut être acteur. C’est une vocation dont seul le gueuloir survivra aux décombres. Achille, le père du loustic, ne veut pas d’un saltimbanque à la maison. Gustave se créera une identité d’amuseur grossier. Il le baptise Le Garçon. Flaubert renonce à son destin de comédien. Il ne sera ni Molière, ni Shakespeare.
Proust s’entiche de Réjane et de Sarah Bernardt. Dès les premières pages de La Recherche, on est saisi par la passion du narrateur pour la Berma.
L’auteur est un acteur raté, un grimacier empêché, un baladin dissuadé. L’écriture est une profession de deuxième zone, un métier de second choix, un médiocre lot de consolation. Tous les scribes de la terre ont des démangeaisons d’histrion. »

Ce texte est extrait de l’ouvrage « Fred » (5 Sens Editions, 2019). Il est disponible à l’adresse suivante :
https://catalogue.5senseditions.ch/fr/belles-plumes/295-fred.html

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