« Melancholia, c’était le titre de Sartre. Un beau titre. Dans
son petit bureau de la rue Bonaparte, il désignait une gravure, la reproduction
d’une toile de Dürer.
Gaston ne mange pas de ce
pain-là. Il impose à Sartre l’inutile Nausée.
Sartre se conforme au diktat Gallimard, retouche l’ouvrage, biffe des bouts de
pornographie. C’est son premier livre publié. Il est satisfait de pouvoir
garder l’épigraphe, la citation de Céline : « C’est un garçon sans
importance collective, c’est tout juste un individu » (L’Eglise, 1933).
La sortie du méchant bouquin
révèle en Roquentin un pedigree célinien. A l’époque, Staline goûte la prose de
Destouches. Le Voyage au bout de la
Nuit est le livre de chevet de Joseph Djougachvili.
Sartre a l’âge du Christ en
croix. « Dans les église, à la clarté des cierges, un homme boit du vin,
devant des femmes à genoux » (Folio, pages 66/67). La machine est lancée.
Cau, son secrétaire, prix Goncourt en sa jeunesse de gauche, pestiféré en sa
vieillesse de droite, fignole un saisissant portrait du Prix Nobel réfractaire.
Il peint un homme bien : « Au fond, le cœur, un cœur immense lui
était monté à la tête » (Croquis de
Mémoire, 1985).
Je grelotte dans le petit bois du Ranelagh. Je ne veux pas
rater la conférencière du musée. Corot, avant Sartre, se décoiffe devant la
peinture de Dürer. Les pinceaux de Corot lui font écho en sa boudeuse Melancholia. Je suis content que le
musée Marmottan l’ait rapatriée de Copenhague. »
Ce texte est extrait de l’ouvrage « Dancing de la
Marquise » (5 Sens Editions, 2020). Il est disponible à l’adresse
suivante :
https://catalogue.5senseditions.ch/fr/belles-plumes/322-dancing-de-la-marquise.html
« Sartre passe les dix
dernières de sa vie avec Flaubert. L’aveugle, à contre courant, pactise avec L’Idiot de la Famille. Il finit ses
jours avec Cruchard. Il mourra, trois milliers de pages au compteur, laissant
Gustave au milieu du gué, n’achèvera pas le chantier. C’est une œuvre de toute
première grandeur qui explore deux continents qui se touchent : l’acteur
et l’auteur.
Le jeune Gustave se destine à la
comédie. Il improvise des farces, il joue des bouffonneries. Flaubert veut être
acteur. C’est une vocation dont seul le gueuloir survivra aux décombres.
Achille, le père du loustic, ne veut pas d’un saltimbanque à la maison. Gustave
se créera une identité d’amuseur grossier. Il le baptise Le Garçon. Flaubert renonce à son destin de comédien. Il ne sera ni
Molière, ni Shakespeare.
Proust s’entiche de Réjane et de
Sarah Bernardt. Dès les premières pages de La
Recherche, on est saisi par la passion du narrateur pour la Berma.
L’auteur est un acteur raté, un
grimacier empêché, un baladin dissuadé. L’écriture est une profession de
deuxième zone, un métier de second choix, un médiocre lot de consolation. Tous
les scribes de la terre ont des démangeaisons d’histrion. »
Ce texte est extrait de l’ouvrage
« Fred » (5 Sens Editions, 2019). Il est disponible à l’adresse
suivante :
https://catalogue.5senseditions.ch/fr/belles-plumes/295-fred.html
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