Henri
Michaux est né le 24 mai 1899. On n’a pas trop de photos de lui. Inutiles
portraits. Car il nous a laissé des mots pour figurer la peau d’un visage, des
dessins, des carnets de voyage, une calligraphie pour imaginer l’infini.
« Visage
en forme de bosse de chameau. Visage de Michaux. Visage désert. Visage d'oncle
Pierre. Visage de salaud. Hors photo. A moins de la voler au Collège: le cliché
d'un Michaux sans chiqué, visage blanc de vieillard sur un banc, lunettes
noires, les yeux vers l'intérieur. Visage d'oncle Pierre. Dévasté. Déplumé.
Démâté. Lunaire. Visage d'après la guerre. Il est Belge et sans âge, longue
carcasse d'escogriffe effacé. Sinistre et drôle.
Michaux
confectionne des ouvrages dessinés à la plume. A lire original. Jamais dans une
collection de vitesse, genre vide-Poche.
Et
puis la beauté qui terrorise, et le feu de la femme qui flambe. Michaux voit la
chair en cendres, la vie en volutes, la souffrance d'un marin, raté d'avance,
et les mots qui font signe de la main. S'entend Michaux. Vieux tromblon. Il
écrit. Moins lourd qu'une brique, plus déchiffrable aussi: un livre.
A
quarante ans, vingt ans aller retour, il écrivit de mémoire le récit du voyage,
son carnet ethnique. Visages de jeunes
filles, un texte lentement halluciné, une prose royale d'ivrogne, qui sèche
au soleil. Michaux fait un petit travail miniature, sans y toucher, de son
doigté de fée. C'est une sorte de cri crayonné, le croquis dernier cri de deux
ou trois jeunes filles de la terre. Michaux est invincible quand il écrit la
fin, et le début d'une femme. Il tient le fil et la fille. Voilà cet oncle
Pierre qui entrebâille la porte étroite, ouvre grand la fatalité. Dans la
chambre rose de l'univers, il voit l'écorchée vive à son lever. Il pressent la
soldate, contemplée renégate.
Gracq
évoque la saveur évanouie d'un chewing gum. Il désigne ainsi la prose usée. Au
détour de ses Lettrines. A la
relecture, la fadeur d'un texte aimé déçoit sans pitié. Mais voici Visages de jeunes filles. Il garde son
grain intact, sa peau de craie, sa cambrure primitive, sa sauvagerie.
Henri
Michaux, de son ami le poète équatorien Alfredo Gangotena, aimait à rappeler
les mots suivants: "Les murs tremblent, les feuilles aussi, je vous le
dit, je vous l'assure, il y a quelqu'un qui saigne ici". L'homme, l'orme
centenaire, traîna sa carcasse en chasse d'images, de for intérieur, de
visages, de ces nourritures pour l'œil qu'on appelle des paysages.
Aujourd'hui cent ans, du verbe entendre, Michaux
joue à chat en vieux chien sous la terre. "C'est comment qu'on freine
?". Comme Bashung, Michaux se demandait. Michaux est hors photo, sauf pour
le papier journal Libération, ce nom volé comme la photo, chapardé à de Gaulle.
Hors photo, c'est à dire de coquetterie mahométane, à la Céline. Pas très chaud
pour les clichés, Michaux. On songe à Deleuze: "Je nage la tête haute,
hors de l'eau, pour bien montrer que je ne suis pas dans mon élément".
Sauf, qu'à l'image de Madame Michu, mercière à Angoulême, Monsieur Michaux a
vécu pharmacien, on n'est pas sûr de Carpentras. Quelque part où le paysage ne
donne pas toute sa mesure, où les couleurs restent en dedans. Il s'amusa de
quelques phrases. Mais Michaux nous dit à peu près ceci. Je suis conservateur.
Parce qu'un secret, je le garde. »
Ce texte est extrait de
« L’amitié de mes genoux » (5 Sens Editions, 2018, pages 53/54)
L’ouvrage est disponible à
l’adresse suivante :
https://catalogue.5senseditions.ch/fr/belles-plumes/192-l-amitie-de-mes-genoux.html
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