vendredi 8 mai 2020

Lettre à l'inconsolée

Le pire, ce sont les fausses joies. Pourquoi Sollers m’a-t-il téléphoné le lendemain de mon dépôt de manuscrit (De Gaulle), me demande de lui apporter tous mes textes, me donne rendez-vous au café à l’angle, fait une mauvaise imitation du grand Charles, moi je l’imite beaucoup mieux, m’envoie les épreuves à corriger, je lui renvoie et puis plus rien. C’était à l’été 1987. Mon De Gaulle ne trouvera un petit éditeur minuscule qu’en 2002, quinze ans après.
Le pire, c’est cette Chloé Deschamps chez Grasset qui prend la peine de me téléphoner pour me dire plein de gentillesses sur ma manière d’écrire avant de m’exhorter à raconter une histoire. Elle a pourtant d’autres choses à faire qu’à téléphoner à des inconnus qui ne racontent pas d’histoires.
Certains écrivains s’auto-éditent. Proust s’est publié à compte d’auteur. Aujourd’hui un type comme Nabe s’auto-édite. Ou alors on trouve des éditeurs de troisième zone, ma maison suisse par exemple, qui éditent convenablement mais qui se fichent complètement de la distribution.
Quoi faire ? Pour me consoler, je pense à Lagarce - pour qui j’ai beaucoup de tendresse, son courage, la beauté de sa langue - qui n’a jamais vu ses textes publiés de son vivant. Pour me consoler, je me dis que l’essentiel c’est d’avoir envie, envie d’écrire, envie d’aimer. Envie de contempler la langue française comme on regarde la mer. Et puis il y a des rencontres miraculeuses, tes livres par exemple qui s’impriment en moi, ce brave gendarme de Nice, au corps musculeux tatoué jusqu’aux yeux (j’ai vu ses photos sur FB) qui  clame sa passion pour mes livres. Il y a Guy Dupré qui, autour d’un verre de Porto, m’enjoint d’écrire.
Tout cela pour te dire qu’il ne faut pas pleurer mais continuer à se tenir droit, à vouloir la vérité, à persévérer dans la probité des affects, la sincérité des émotions, et les restituer du mieux qu’on peut sous forme de mots dans leur pureté originelle. 

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