L’ignorance
est le réveil lucide de l’insouciance. L’actuelle dépendance à la science révèle
une vulnérabilité, souligne l’accoutumance d’une société à son monopole de la
vérité. Quand les travailleurs de la preuve font défaut, quand la science est
dépouillée de ses certitudes, quand un phénomène naturel manifeste une totale
étrangeté, le champ est alors libre au cheminement des mal voyants, à l’errance
de l’ignorance, au déferlement des mots.
Car
les mots masquent les causes, éloignent des choses. Les mots témoignent d’une
pauvreté, exorcisent une peur, confessent une ignorance.
L’ignorance
vaste, collective, élargie, à taille de pays, est une humiliation de l’esprit, un
uppercut en pleine figure, l’abaissement grandeur nature d’une nation.
L’ignorance, au peuple malade, dévoile l’étendue d’une dégringolade.
Quand
la mort rôde, quand ça barde comme dans une guerre, l’ignorance tarde,
l’ignorance bavarde, l’ignorance tue le temps avec des boniments. Les doctes
des plateaux, les sages du maquillage, s’enorgueillissent de platitudes
exquises. Le faux plat du blabla meuble les silences de l’au-delà. L’ignorance
des blouses professorales s’épanche comme une gouache affectueuse de
barbouilleurs du dimanche. L’ignorance s’exprime, préempte la parole, sonorise
une réclame, sature l’espace épidémique d’un nombrilisme académique.
L’ignorance des grands sachems rafle l’audience des antennes. Au détriment de
l’ignorance de naissance, de l’ignorance de souche, de l’ignorance muette des
smicards du savoir, des caissières de comptoir. Les fadaises et billevesées des
uns se mêlent aux balivernes et coquecigrues des autres. Au sujet des discours de métier, Pierre
Michon parle joliment de « couinement coutumier ».
Au
centre de l’écran trône l’arbitre des élégances, l’animateur des nouvelles, le bateleur
de quinzaine commerciale : il distribue les bons points, distingue
l’ignorance légitime de l’ignorance crasse, départage le papillonnant
professeur de l’ouvrière de caisse. Le joyeux pontife jouit d’un droit à la
déraison, dispose d’une tolérance au délire. Pas l’illettrée d’usine. Pas
l’analphabète de supérette.
Morale
provisoire du virus de Chine. « L’homme compétent est celui qui se trompe
selon les règles » (Paul Valéry, « Mauvaises pensées et autres »,
Gallimard, 1942). Après tout, il m’enseigne l’art de tousser dans mon coude.
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