Déjà
vieux, je me regarde combattre, scrogneugneu de troisième ligne. Je me
séquestre du mieux que je peux. Chaque heure de retranchement est une vie
sauvée, un Lazare ressuscité, échappé de son brancard.
Je
me décerne un satisfecit de taulard exemplaire, m’attribue l’accessit de
bravoure. J’épargne des vies dans mon réduit de souris. Je trinque la nuit aux
pertes ennemies.
Gosse
des trente glorieuses, la guerre n’était pour moi qu’un racontar de grand
Charles, qu’un spectacle d’archives poussiéreuses. J’ai fait la mienne avec
zèle, sans masque ni ostentation, à la maison.
A
défaut de gueule cassée, j’ai la tête abîmée d’exiguïté, le sentiment d’une
étroitesse qui annexe les esprits. J’ai les jambes fracassées d’immobilité. Je
suis un tas d’habitat. J’ai sécurisé tous les recoins de mon terrier. Je me
suis fait prisonnier.
Mais
je m’échine, j’épie l’ennemi dans mon coma, j’observe la calamité de Chine, je
me plie à la consigne de repli. Après les hostilités, il faudra tondre Raoult,
l’exécuter pour félonie, intelligence avec l’ennemi. Après les hostilités, je
serai décoré, j’arborerai la médaille du meilleur déserteur. Je serai fier de
ma guerre, honoré d’être traité en grand guerrier. J’aurai donné mon temps,
sauvé tant d’innocent
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