Georges Braque est né le 13 mai 1882. Il a trente ans de plus
que Nicolas de Staël. Deux peintres sont là, debout, hors d’atteinte, hors les
mots, phénoménaux. Non, trois peintres. La femme d’à côté, c’est Jeannine
Guillou. Elle est morte, enterrée, entièrement dévouée à la beauté.
« Staël aurait cent ans. Braque est mort il y a cinquante
ans. Braque le patron - le mot est de Paulhan - est de retour à la maison. Ses toiles ornent le
Grand-Palais. A première vue, la peinture de Braque est faite de bric et de
broc. A ses obsèques, Malraux touche juste :
"Dans son atelier, qui n'avait pas connu d'autre passion
que la peinture, la gloire était entrée à l'écart, sans déranger une couleur,
une ligne, ni même un meuble."
Le thème de l'atelier est le journal intime de Braque, un carnet
de croquis de haut artisanat, sa mémoire vive d'artiste. Jeannine Guillou s'est
sacrifiée. Sans le sou. Les privations de la guerre ont eu raison de sa santé précaire.
Dans une lettre admirable à sa mère, Nicolas de Staël évoque
l'enterrement de Jeannine Guillou, épouse et peintre. "Le 4 mars après
l'avoir habillée de tout ce qu'elle aimait porter nous avons fermé le cercueil,
son fils et moi, devant la petite Anne et le plus grand des peintres vivants de
ce monde".
Braque a soixante-trois ans. Il ôte sa casquette, se décoiffe
devant le corps. On pense au fulgurant tableau de Courbet La Toilette de la Morte, égaré quelque part en Amérique, admiré de
Staël et de Braque. On s'embrouille entre la vie et la peinture. Il neige au
cimetière de Montrouge. Une rangée de nez rouges se penche sur le trou. Georges
Braque et Nicolas de Staël ne font qu'un. »
Ce texte est extrait de « Dancing de la
marquise » (Editions du Bon Albert, 2020, page 115)
L’ouvrage est disponible à l’adresse
suivante :
https://catalogue.5senseditions.ch/fr/belles-plumes/322-dancing-de-la-marquise.html
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