lundi 24 janvier 2011

Pas touche à Destouches

L'Etat se retrouve dans de beaux draps. L'Etat moral cède à la tentation d'exister. Il cloue Céline au pilori, jette sa mémoire à la vindicte populaire. Le brigadier Destouches est interdit de cérémonie. Bien fait pour la mauvaise fée ! Et libre au ministre des artistes de prendre peur au voisinage d'un des plus grands ! Céline se fiche comme d'une guigne de pareil Barnum. Il ne se soucie que de la confrérie des génies: l'imprimatur de Gaston pour l'édition en Pléiade. Il la rate d'un rien de son vivant. Céline en mourra de chagrin.
L'Etat célèbre à qui mieux mieux, commémore à tort et à travers. L'Etat distribue en assignats ses prix de moralité et ses tableaux d'honneur. L'Etat couard est ignare, ingrat, myope comme une taupe. Céline ne prise guère ce genre de sauteries. Sa religion de poésie le lui interdit. Il s'invita à d'autres féeries.
Louis-Ferdinand Céline est un artiste exemplaire. Tout au long de sa chienne de vie, il n'a cessé d'honorer sa patrie. Céline, lui, savait célébrer ! Il respecta la langue de sa mère comme peu de fils osèrent. L'ermite de Meudon savait jouer du clairon. Céline aimait follement la langue française. D’où quand il en parlait les coups de gueule affectueux : « Que foutus baragouins tout autour ! ». Qui mieux que lui n'a plus délicatement baisé le front manuscrit de sa noble mère ?
Aux adorateurs officiels des bonnes réputations, il administre sa leçon personnelle de célébration mémorielle. Point final.
Céline repose en majesté dans son oeuvre. C'est un artiste monstre et une ordure majuscule. Salaud comme Dostoïevski, indigne comme Rousseau, abject comme Genet. Pas nobélisable pour un sou. Céline n'est pas Le Clézio. C'est un homme de bons sentiments mal vendus. Au point qu'on oublie le cri de Bardamu tout au long du "Voyage au bout de la nuit". Céline a souffert des ragots des jaloux et du ressentiment des bien-pensants. Car nul n'écrivit réquisitoire plus impitoyable contre la boucherie militaire et la chiennerie guerrière. La longue plainte de Bardamu court désormais les rues, n'a plus jamais cessé de scander sa beauté. Mais Céline n'a pas droit à la tendre humanité du soldat.
Son oeuvre est éclatée comme son identité, à rayonnement diffracté. Ses vomissures de salaud ne peuvent entacher la somptuosité de sa prose. C'est en ascète impeccable de la phrase musicale qu'il hérite du gueuloir de Flaubert. Correct à l'excès dans sa sobriété de vie: ni alcool, ni bagnole. Céline enseigne la frugalité et la splendeur des mots. L'Etat copain y perd alors son latin. Mais les amateurs de chair textuelle fraîche y puisent le goût, voire même quelques raisons de vivre. Pas touche à Destouches. Céline se sait trop raffiné pour les prescripteurs de haute moralité. Son anti-bourgeoisisme viscéral - plus que son antisémitisme maladif - heurte de front l'autorité des pouvoirs publics. C'est pourquoi l'Etat bourgeois a honte de Céline, roi de littérature pour encore quelques siècles.





1 commentaire:

Jacques Razu a dit…

"Ministre des artistes", dites-vous ! Vous êtes bien bon ! les artistes, les grands, les incommensurables, n'ont jamais eu besoin de ministres, sinon dans les Etats totalitaires et bien malgré eux : pauvre Fritz Lang, contraint à l'exil par le Ministre de la Kultur Goebbels, malheureux Chostakovitch persécuté par le Ministre de la Culture Jdanov, pour ne s'en tenir qu'à ces deux exemples. Et puis y a t-il encore quelque chose comme "des artistes" aujourd'hui, au sens que ce terme, artiste, pût avoir avant 1950 ? Trouvez-moi un écrivain de l'accabit d'un Céline ou d'un Proust, un peintre de l'immensité créatrice d'un Picasso ou d'un Bacon, un compositeur de la puissance novatrice d'un Stravinsky ou d'un Shoenberg :l'art est mort, et sa charogne n'en finit pas de puer...

Jacques Razu