jeudi 26 mars 2020

Il était une fois l'indépendance

A l’époque, on pouvait musarder sur les grands boulevards, cheminer en forêt sans crainte d’être contaminé par un gendarme, se terrer à Colombey pour travailler d’arrache-pied, écrire des Mémoires sans jamais les finir.
A l’époque, le Général était maniaque, économe des deniers des ouvriers. Il coupait le sifflet des roquets du marché, éteignait l’électricité des bureaux, salles et cagibis du palais. C’est un homme debout qui saluait l’anonyme labeur avant d’aller se coucher.
On se souvient que ce fils d’enseignant montait sur ses grands chevaux quand les sots à l’assaut manquaient à son serment, négligeaient d’être indépendants. Charles avait l’obsession de la grandeur d’une nation.
A qui mendie des lits, il exprime un mépris. Au pays appauvri par son incurie, au pays quémandeur de masques de chirurgie, il rappelle la grande querelle d’une vie. A son improbable chefferie d’épicerie, il rafraîchit la mémoire, martèle que seule la liberté qu’il a conquise a durablement du prix.
Du temps de Charles, nous étions libres, nous habitions sur la hauteur, nous dominions l’horizon. En ces matins de geôle sans gel pour les mains, en ces heures de pouvoir « transparent » où le prince ment allégrement, je songe à Péguy, à cette phrase de jadis sur une image de première communion : « Le génie n’apparaît nulle autant que dans le petit détail poussé ».
Charles presse l’interrupteur, coupe la lumière, tous les soirs. Une obsession le taraude, c’est la nation qui le tenaille. A longueur de temps désormais, je me lave les doigts, paume et poignet. Mais je n’arrive pas à me défaire d’une tache qui persévère, du masque illusoire de Jupiter.

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