lundi 9 mars 2020

Une femme douce

11 mars. Dominique Sanda dénombre ses années, trouve deux fois l’âge de Leïla Bekhti. La brune et la blonde veillent à l’équilibre du monde. 11 mars. Anniversaire d’une blonde qui ne compte pas pour des prunes.

« Une Femme Douce. Dominique Sanda squatte le cinéma du casino. Il pleut des cordes sur une plage sans miséricorde. La starlette de l’esthète est quasiment muette. Elle est pâle, frontale, franchit le seuil. Il y a trois pelés et un tondu. Je suis seul avec elle. J’ai quinze ans. Bresson dédaigne la couleur. J’écris noir sur blanc mes tourments d’écran. Je rédige une lettre à la suicidée, un courrier qui lui est destinée. Je lorgne le bas de l’affiche, fixe le générique. J’expédie mon histoire à Mag Bodard.
Depuis la moitié d’un siècle, j’attends une réponse, un feu vert de l’actrice. Un dimanche d’août à brouillard, sans discerner Le Havre, je m’agrippe à son visage, au rivage balnéaire. J’inaugure mes lettres mortes, jetées de la sorte, dispersées dans la nature. Je répugne à inscrire le lieu d’un domicile au dos de l’enveloppe diaphane. Sanda n’est pas qu’une déesse d’initiales. Elle me trouvera. La détresse est une adresse inratable. De Gaulle m’a abandonné en mai. Il a pris ses cliques et ses claques. Désormais je suis libre de mes appels au peuple. Dans l’obscurité, l’égaré du bout de rang me palpe une fesse. Je sors de Dostoïevski tout à fait ragaillardi. »

Ce texte figure dans Fred (5 Sens Editions, 2019, pages 50/51).

L’ouvrage est disponible à l’adresse suivante :

https://catalogue.5senseditions.ch/fr/belles-plumes/295-fred.html

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