« La mort de Jean-Christophe
Averty est une blague des claviers Azerty. C’était un imagier incendiaire, un
artificier de la beauté convulsive. La télévision de jadis était exécutée par
de vrais artistes. C’était le temps de l’ORTF. La direction appartenait à ses
chefs gaullistes, la création était confiée à ses réalisateurs communistes. Pas
d’autre choix qu’une seule chaîne d’Etat, certes, mais avec de grands soldats
superbes. La télévision de papa était filmée sous la dictée d’hommes de vision.
Beckett, Adamov ou Ionesco figuraient au programme de prime time.
J’étais en culottes courtes. Je
me souviens des Raisins Verts,
l’émission de variétés déjantée qui déclarait la guerre à l’ennui des
chaumières. L’art fêlé d’Averty visait le fou rire des familles. Un bébé de
couleur violette était débité à la moulinette. Averty était un dandy, un
esthète du sacrifice aztèque. Un zézaiement délicieux commentait le délictueux
spectacle. Ce strabisme de la diction exerçait une ravageuse séduction.
Averty était un coloriste du noir
et blanc, un aventurier de l’image truquée, le poète inspiré d’une 3D pas
encore née. Sa photographie était nourrie de textes de fantaisie, des facéties
d’Alfred Jarry. A vrai dire, l’image numérique vient du Collège de
Pataphysique. Averty était un pyromane de l’image. Il travaillait les pixels de
manière insurrectionnelle. Il illustra Roussel et Cocteau, Gracq et
Shakespeare, Apollinaire et Prévert, Picasso et Richaud. Averty a diverti le
bourgeois, travesti, perverti le bon goût, sa routine et sa mélancolie. Trop
grande gueule pour faire école, il meurt aujourd’hui pour notre malheur.
J’avais de la chance d’avoir dix ans dans les années soixante.»
« Dancing de la marquise », 5 Sens Editions, à paraître en avril 2020
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