mardi 9 octobre 2012

Le bandit manchot

Récit bref qui flanque un malaise de monotonie. Ecrit d'avance comme rédige la providence. Ton tenu du convenu, teinté d'ironie pointue. Echenoz pose un même visage blême, couleur de livre Minuit, sur le même bout de nuit que tous les Céline de l'enfer. Va vite la mécanique clinique de grande guerre qui dévaste les chairs.
Taille de boîte de cartouches, l'opuscule se manipule avec retenue. Il sent la mort. Il pressent le sort des corps. Il jette sur papier le sort d'un quatuor d'hommes propulsé d'un ressort.
Se lit d'une traite, en roue libre, sans frottement, comme on vide un verre. Inutile d'essuyer ses lèvres. Sensation de lecture blanche. Impression de promenade du dimanche. Sentiment de guerre étrange. La page efface sa trace.
Je ne me souviens de rien. Sauf d'instants brefs. Echenoz peint l'effroi de la mort dans les yeux, fixe la nudité du dernier regard. Charles, hautain dans sa carlingue d'aviateur, en piqué fatal, s'écrase sur la douce bourgade de Jonchery-sur-Vesle, "dont les habitants s'appellent les Joncaviduliens".
Plus loin, le rescapé des tranchées, Arcenel, le boucher solitaire, "est parti faire un tour". Il suit sa rêverie, se balade à sa guise, chemine sans dessein, déserte sans savoir, est exécuté par ses frères d'armes.
Roman d'une bourgeoisie sans joie ni fantaisie où les manchots sont rois. Anthime, au bras volatilisé, joue sa partition gagnante, croule sous une fortune de souliers. Il donne à Blanche sa deuxième chance, un deuxième Charles. Jackpot d'un bandit manchot.

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